dimanche 23 mars 2008

Xavier PERREAU Wagnérisme et Vers librisme

XAVIER PERREAU, musicien, Wagnérien, et vers libriste

Cinq Mélodies à la Librairie de l'Art
Indépendant, 1894.



Il y a encore de jolis coups à faire

Tous les matins de 9 à 11

Fantomas Blaise Cendrars



J’aperçois de loin la célèbre marque de la Librairie de l’Art Indépendant, le volume est un in-4, broché, Cinq Mélodies, de la musique… Mais ce n’est pas Debussy, la même Librairie avait publié La Damoiselle élue en 1893, non juste Xavier Perreau, dont j’ignore tout, peu importe, après transaction, le livre est à moi.

Première constatation le volume est sur papier Japon, avec un frontispice en lithographie d’Anquetin, il est dédié à Madame la Comtesse Greffulhe, née Caraman-Chimay, les poèmes mis en musique sont : Le Menuisier des trépassés, chanson de Jean Moréas, Les fenouils m’ont dit… poésie de Jean Moréas, La Tentation de Saint-Martin, légende de Robert de Bonnières, Chanson d’autrefois, poésie de Victor Hugo, Recueillement, sonnet de Charles Baudelaire.

Les éditions de la Librairie de l’Art Indépendant, m’ont toujours fait rêver, n’est-ce pas chez Edmond Bailly, musicien ésotérique, auteur du Chant des voyelles, comme invocation aux Dieux planétaires, que se retrouvèrent, autour de 1890, toute une génération de jeunes écrivains, Pierre Louÿs, André Lebey, Henri de Régnier, Jean de Tinan, André-Ferdinand Herold ? C’est sous la marque dessinée par Félicien Rops, d’une femme, créature ailée à queue de poisson (?), avec la fière devise « Non hic piscis omnium », que parurent les derniers livres de Louis Ménard, les premiers livres de Gide, Les poésies d’André Walter, Le Traité du Narcisse, et le magnifique Voyage d’Urien illustré par Maurice Denis, les premiers Claudel, Tête d’Or et La Ville, Les Quatre faces de Bernard Lazare et sa curieuse plaquette, La Télépathie et le néo-spiritualisme. Les théosophes, Blavatsky et Annie Besant, figurent elles aussi au catalogue de cette curieuse librairie, où la poésie, teinté d’ésotérisme d’un Jules Bois avait naturellement sa place. De la jeune génération il faut encore cité, Albert Fleury, André Fontainas , Paul Fort, Pierre Quillard avec sa Gloire du Verbe, et Edouard Ducoté. Du groupe formé autour de Pierre Louÿs, qui laisse au catalogue trois titres, Astarté, Les Chansons de Bilitis et Léda, Henri de Régnier n’est pas en reste avec quatre titres, Poèmes anciens et romanesques, Tel qu’en songe, Contes à soi-même, Aréthuse, c’est sous le pseudo d’André Yebel, qu’André Lebey y publie Les Chants de la nuit et Préludes triste, Jean de Tinan son Document sur l’impuissance d’aimer, et André-Ferdinand Herold quatre titres, dont ses Chevaleries sentimentales. Mallarmé lui-même en 1890, donne à Bailly sa Conférence sur Villiers de L’isle-Adam (tirée à 50 ex. numérotés : 5 sur japon impérial et 45 sur hollande), et Oscar Wilde, en 1893, sa Salomé écrite en français et révisée par Stuart Merrill, Adolphe Retté, Marcel Schwob et Pierre Louÿs, le dédicataire.

Mais revenons à notre volume, Xavier Perreau n’est pas tout à fait un inconnu, en effet Edouard Dujardin dans Les Premiers poètes du vers libre, Mercure de France, Les Hommes et les idées, 1922, en appelle à son témoignage (c’est moi qui souligne) : « La Revue Wagnérienne a été fondée en 1885 ; et personne ne s'étonnera que ce soit à Wagner que je doive mes premières préoccupations de vers librisme. Très tôt, je m'étais dit qu'à la forme musique libre de Wagner devait correspondre une forme poésie libre; autrement dit, puis que la phrase musicale avait conquis la liberté de son rythme, il fallait conquérir pour le vers une liberté rythmique analogue. Et c'est précisément ce que j'exposai à Laforgue, lors de notre première rencontre, fin mars 1886, à Berlin. Il y a un témoin : Houston Stewart Chamberlain; et un témoignage: une lettre que celui-ci m'écrivit peu après, dans laquelle il évoquait ces souvenirs. A cette époque, je travaillais à un grand poème, A la gloire d'Antonia, qui devait comprendre un ensemble de parties en prose et de parties en vers, — le même cadre que j'allais employer deux ans plus tard pour la Vierge du roc ardent et plus tard encore pour la Réponse de la bergère au berger. Les parties en vers de ces deux derniers poèmes devaient être et ne pouvaient être que des vers libres; mais, à l'époque où j'écrivais A la gloire d'Antonia, je n'en étais pas à cette décision, et, pendant les trois premiers mois de l'année 1886, je tâtonnais, hésitant entre la forme du vers régulier plus ou moins libéré et une formule de vers libre dont la nécessité s'imposait à mon esprit. Mon ami le musicien Xavier PERREAU, que je voyais alors quasi quotidiennement, doit se rappeler tout cela, et n'a pu oublier en particulier quelle place la question de l'accent rythmique dans le vers tenait dans nos conversations de cette époque ! » Plus loin il fait même de Xavier Perreau l’un des participant actif à la libération du vers : « Parmi les jeunes gens qui, au cours des années 1886—1888, instaurèrent le vers libre dans la poésie française, quelques-uns ont tenu un rôle important, quelques-uns un rôle plus effacé; et encore n'avons-nous pu parler que de ceux qui publièrent leurs essais ; à côté d'eux et avec eux il aurait fallu en citer d'autres, tels, par exemple, le musicien Xavier PERREAU qui, après de longues recherches prosodiques, esquissa alors un drame en vers libres destiné à la musique. » Edouard Dujardin monté à Paris en 1878, pour préparer l’Ecole Normale, délaissa ses études pour se consacrer à la musique, il fut le condisciple de Paul Dukas et Debussy au conservatoire, après avoir découvert Wagner, en parallèle avec la propagation de l’œuvre du maître, il tente d’appliquer à la poésie les libertés rythmiques de la phrase musicale Wagnérienne.

La Médiathèque Musicale Mahler, qui détient un fonds Xavier Perreau, constitué de l’ensemble des manuscrits du musicien, une cinquantaine de partitions, nous apprend que Perreau est né à Romanrantin en 1856 et mort en 1939, qu’il fut violoncelliste à l’Orchestre Colonne, membre du Comité des Grandes Auditions et qu’il participa au groupe « Le Petit Bayreuth ». Ce cercle de Wagnérien français de la première heure fut fondé par Antoine Lascoux après un voyage à Bayreuth, les musiciens réunis là donnent des concerts privés dans les salons aristocratiques, on retrouve parmi eux la jeune génération tel Chabrier, Dukas, Messager, Fauré ou encore Vincent D’Indy, venus là autant pour Wagner que pour accéder à ces salons pleins de riches mécènes. Ce passage par « le Petit Bayreuth » explique t’il la dédicace des Cinq Mélodies à la Comtesse Greffulhe, future Duchesse de Guermantes de Marcel Proust ?

Nous avons vu que Perreau fut un ami d’Edouard Dujardin, fondateur de la Revue Wagnérienne, la consultation du catalogue de la BNF, nous permet de découvrir qu’il fut de même un proche de Théodore de Wyzewa, avec qui il écrivit une série de volumes sur les grands peintres (Les Grands peintres de la France, par T. de Wyzewa et X. Perreau. Firmin-Didot, 1890. Les Grands peintres de l'Allemagne, de la France (période contemporaine), de l'Espagne et de l'Angleterre, suivi de l'histoire sommaire de la peinture japonaise, par T. de Wyzewa et X. Perreau. Firmin-Didot, 1891). Autre fondateur de la Revue Wagnérienne, Théodore de Wyzewa fut l’ami des dernières heures de Jules Laforgue, il est l’auteur de Valbert (1893), le roman d’un décadent Wagnérien, archétype du "jeune homme" fin de siècle, qui se départissant de son égotisme, découvre le monde.

On retrouve dans le fond de la Médiathèque Gustav Malher deux manuscrits que l’on retrouvent édités dans notre volume, le premier est répertorié sous le titre : Les sauges m'ont dit… Mélodie sur des paroles de Jean Moréas, 13 p., plusieurs copies 0 Daté et signé “4 déc 1887”, le titre publié en 1894 est Les Fenouils m’ont dit… Il s’agit en fait du poème Une Jeune fille parle (1). Le second, La tentation de Saint Martin, Pour voix et piano, texte de Robert de Bonnières, 10 p., Daté et signé “Bois Boudran, Paris, janvier, février, 1889”.

Le Frontispice du volume est une lithographie de Louis Anquetin (1861-1932), représentant une jeune fille de dos, visage tourné vers nous, un instrument de musique en main. Anquetin fut à la fin des années 1880, un peintre d’avant-garde, grand ami de Toulouse-Lautrec, il sera de l’expérience du Cloisonnisme avec Emile Bernard, comme celui-ci il se tournera vers le classicisme après 1890. Anquetin fut un des condisciples d’Edouard Dujardin au lycée Corneille à Rouen, il illustrera d’un frontispice Pour la vierge du roc ardent de celui-ci en 1889, le choix d’Anquetin par Perreau comme illustrateur de sa brochure, vient sans doute de cette amitié entre croisée.


Pour en finir aujourd’hui avec Xavier Perreau, il est permis de dire qu’il fut un musicien Wagnérien, proche de Dujardin et Wyzewa, qu’il s’intéressa à la prosodie et au vers libre, musicien il ne dédaigna pas la plume de l’écrivain comme le prouve le témoignage de Dujardin et ses travaux avec Wyzewa, il est de plus l’auteur de La Pluralité des modes et la théorie générale de la musique, chez Fischbacher en 1908 et des paroles françaises de Israël en Égypte, oratorio en deux parties de Haendel.

Tous renseignements supplémentaires sur Xavier Perreau sont, évidemment, bien bienvenus.

(1) Les fenouils m'ont dit : Il t'aime si / Follement qu'il est à ta merci ; / Pour son revenir va t'apprêter. / - Les fenouils ne savent que flatter ! / Dieu ait pitié de mon âme ! // Les pâquerettes m'ont dit : Pourquoi / Avoir remis ta foi dans sa foi ? / Son cœur est tanné comme un soudard. / - Pâquerettes, vous parlez trop tard ! / Dieu ait pitié de mon âme ! // Les sauges m'ont dit : Ne l'attends pas, / Il s'est endormi dans d'autres bras. / - O sauges, tristes sauges, je veux / Vous tresser toutes dans mes cheveux... / Dieu ait pitié de mon âme. Jean Moréas. Poésies 1886-1896.

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