mardi 27 novembre 2007

La Mode de Mallarmé





LA MODE
par Marguerite de Ponty

(…) Les Etoffes pour Costumes habillés : Lyon nous offre ses fayes et ses failles, ses poults de soie, ses satins, ses velours à nuls autres pareils, ses gazes et ses tulles, ses crêpes de Chine acclimatés par une fabrication qui, un jour, les exportera au pays même du thé ; enfin les tissus lamés d’or et d’argent, goût somptueux, magnifique, ressuscité de jadis.
Mais la plus exquise des innovations, familière et suave, celle appelée, je le dis ! à régner plus qu’une saison, c’est les Cachemires de nuance claire devenue (mieux que les failles et les poults de soie) Toilettes du soir ; ceux roses et rose thé, bleus et bleu de ciel, les maïs, les réséda, les myosotis, les crème et gris clair de lune. Robes de ces cachemires, garnies soit de gaze, soit de tulle brodé, puis de bordures en jais blanc et en plumes, de franges de jais, enfin de toutes les garnitures des robes de bal : cela se portera au Théâtre, en grand Dîner, en Petite Soirée, mais ouvert en cœur ou carrément, jamais décolleté.
Notre classement si naturel accompli, Mesdames, non seulement vous n’avez pas la vue fatiguée par l’énigme et la diversité de tant de tissus déployés ; mais vous pouvez d’un œil certain regarder à deux mois et plus devant vous, ce qui est beaucoup quand il s’agit de Modes.
Ces étoffes : qu’en faire ? avant tout des chefs-d’œuvre. Quand à moi, sans avoir pareille visée, je vais, sollicitée simplement par le désir d’esquisser tout de suite une toilette faite en l’un de ces délicieux cachemires tendres de tout à l’heure, céder à ce désir.
Toilette de Dîner (en Cachemire, je l’ai vue rose, comme vous pouvez la voir bleue.) Le Tablier de la première Jupe est garnie de maint bouillon horizontal froncés à deux fils avec têtes étroites de chaque côté, celles-ci liserées de satin et reposant elles-mêmes sur un bouillon. La traîne est ornée de sept petits volants plissés. Huit écharpes garnies, chacune, d’un entre-deux de gaze blanche brodée avec de la soie plate, se place en tunique et se nouent sur la traîne, mais en haut. Corsage à basques rondes lacé derrière (il a donné leur nom aux robes-corselets) et entouré aussi d’une garniture de gaze. Fraise en tulle illusion avec col en cachemire doublé de satin et Manches bouillonnées avec parement. (…)


La Dernière Mode. Gazette du Monde et de la Famille, cette revue de mode fut dirigée et rédigée par Stéphane Mallarmé entre septembre et décembre 1874. Sous les pseudonymes de Marguerite de Ponty, Miss Satin, Zizy ou d'Olympe la négresse, entres autres, il y tint toutes les rubriques. L'extrait ci-dessus donne une idée du plaisir que devait prendre Mallarmé à ces utilisations de mots rares, de termes de métiers, à la description d'une nuance de couleur, d'un pli ou d'une étoffe.

Mallarmé (Stéphane) : La Dernière Mode. Gazette du Monde et de la Famille. Ramsay, 1978. Réédition des 8 livraisons.

Voir : Lecercle (Jean-Pierre) : Mallarmé et la mode. Librairie Séguier



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