« Mais oui, je suis socialiste, anarchiste peut-être. Je crois au peuple et à la fraternité des peuples, j'ai foi dans la science qui mène à la justice et à la pitié, et j'ai l'espérance d'un avenir qui sera comme un éternel été. »
D'un vois brève, nette et chaude, Mme la comtesse de Noailles vient de jeter cette phrase avec toute la conviction d'une jeune apôtre révolutionnaire, et ma surprise est si profonde et soudaine que je ne trouve rien à répondre. [...] alors, étonnée de mon étonnement, celle qui publia, il y a deux ans, les vers à la fois émouvants et étranges du Coeur innombrable, et dont le premier roman, à peine paru, La Nouvelle Espérance, agite déjà le Tout-Paris mondain et littéraire, reprend avec tranquillité :
- Mais oui, je suis avec ceux qui veulent pour la masse de tous les hommes plus d'équité et plus de bonheur. Oh ! Je ne suis pas avec les ducs et les princes, oh non ! Voyez : n'approchons-nous pas, de plus en plus, de cet idéal, et n'y a-t-il pas, chaque jour, de nouvelles lois sociales qui répartissent mieux la justice et la liberté, et dont vous-même vous profitez ?[...]
- Je ne crois pas qu'il y ait, aujourd'hui, plus de justice ou plus de liberté. Au contraire...Vive, enthousiaste, obstinée à me convaincre, Mme de Noailles m'interrompt :
- Si, si. Tenez, ces malheureux Espagnols de la Mano Negra, depuis quinze jours, ils sont libres, et c'est aux socialistes qu'ils le doivent. N'est-ce pas admirable, ce résultat ? Vous ne pouvez pas le nier, et vous ne nierez pas non plus que la science seule nous permettra de réformer la société selon des règles certaines. N'est-ce pas elle qui nous apporte la vérité absolue et qui délivre la foule de l'erreur ?[...]
- Alors, vous allez raconter tout ce que je vous ai dit sur moi ? Mai j'ai très peur maintenant, on va me blâmer d'avoir tant parlé.
Je répondis avec simplicité :
- Je dirais même que vous êtes anarchiste, et que vous rêvez la mort par la bombe de tous les aristocrates et de tous les bourgeois.
Elle me regarda, toute surprise, presque triste, et elle eut un geste charmant d'horreur et de pitié, comme pour éloigner de son esprit une cruelle vision :
- Oh non ! Fit-elle, pas de bombes, pas de bombes...Et, souriant, elle ajouta :
- Je suis une anarchiste suivant l'Évangile.
Paul Acker : Petites Confessions (visites et portraits). Première série. Albert Fontemoing, éditeur, Collection Minerva. 1905.
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