mardi 22 juillet 2008

Une Ballade d'André IBELS. UBU, JARRY, BAUER




Ballade sur la nécessité de rechercher la
paternité.


Gilles, Cassandre, et toi, Pierrot,
(Blanche étoile des Funambules (1)
Que vint embellir le frérot... (2)
Cy, qui vers Leyden déambule). -
Voici venir un autre émule
Qui se dit du rire (cancer...
Ubu, piqué de tarentule,
Ubu... qui dit merdre à Bauer.

Est-il sorti de quelque broc,
De la cervelle, sans cellule
Du demi-cabot Lugné-Po (3)
Ou du fantastique Catulle, (4)
Car le colosse... capitule
Devant les sifflets et l'enfer
Que la décadence module ?...
Ubu répond merdre à Bauer

Tout père veut un fils héros,
Jarry engrosse des Ursules
Que Bauer reconnaît trop tôt
Le gosse à sa voix... sa spatule
Ne craint point Bauer, cher Abner,
Car n'importe les testicules
Fils-Ubu dit merdre à Bauer.

ENVOI

Dieux qui nous créèrent crapules
A votre image, à votre chair,
On n'oeuvre plus avec des mules
Je le regrette pour Bauer.

Extrait de TALENTIERS d'André IBELS. Dessins d'Ernest La Jeunesse. Bibliothèque d'Art de la Critique, 1899.

André Ibels s'en prend ici aux « découvreurs » de Jarry, et notamment à Henry Bauer le critique dramatique influent de l'Echo de Paris. Bauer était le fils naturel d'Alexandre Dumas. Après la Commune il fut déporté en Nouvelle Calédonie. Souvent bienveillant pour la nouvelle génération, Bauer mena campagne en faveur du Théâtre Libre d'Antoine, et se fit le défenseur de Becque, ou d'Ibsen. Il soutiendra avec ferveur le Théâtre de l'Oeuvre, c'est lui qui mobilisera les critiques et célébrités pour la première d'Ubu Roi à l'Oeuvre, le 10 décembre 1896. L'article nécrologique que le Figaro lui consacrait le 22 octobre 1915 soulignait le besoin qu'il avait de la polémique ainsi que son goût pour les oeuvres nouvelles. « sa dernière joie était d'être salué par les jeunes qui le rattachaient à sa jeunesse ». Cette ballade nous prouve que les jeunes ne lui rendirent pas toujours l'amour qu'il leur portait.

(1) C'est au théâtre des Funambules vers 1819 que Jean-Gaspard Debureau, le plus célèbre des Pierrots, connut ses premiers succès de mime.

(2) Le « frérot » serait-il le frère de l'auteur, H.-G. Ibels, peintre et illustrateur ? Lui qui avait mis en scène de nombreux Pierrots dans ses lithographies ou affiches, notamment son ami Jules Mévisto.

(3) Le « demi-cabot Lugné-Po[e] » dirigeait le théâtre de l'oeuvre, André Ibels avec Georges d'Esparbès, Maurice Lefevre et Georges Montorgueil, est l'auteur en 1896 d'un volume portant le titre de Demi-Cabots, le Café-Concert, le Cirque, les Forains, illustré de dessins de son frère.

(4) Mendès, « le fantastique Catulle » écrira, de Ubu, après la première : « Fait de Pulcinella et de Polichinelle, de Punch et de Karagheuz, de Mayeux et de Joseph Prudhomme, de Robert Macaire et de M. Thiers, du catholique Torquemada et du juif Deutz, d'un agent de la Sûreté et de l'anarchiste Vaillant, énorme parodie malpropre de Macbeth, de Napoléon et d'un souteneur devenu roi, il existe désormais, inoubliable... », notons la filiation qu'il croit voir entre Ubu et les personnages de la Comédie italienne, à l'instar d'Ibels au début de sa Ballade.

André et H.-G. Ibels sur Livrenblog : Han Ryner et André Ibels. Les « IBELS» Artistic’s et littéraires. H.-G. IBELS et La Revue Meridionale.

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