mardi 7 août 2007

Est-ce que monsieur Verlaine est vraiment un tel monstre ?

Au hasard des lectures
Rosny (J.-H.) : La Reine. Plon, 1901

Dans la province du Weissberg, où règne le roi Egbert IV, arrive de France, le comte Maurice de Nimburg, neveu du chancelier de la cour. Il est présenté au roi, puis à la princesse rouge, Thérèse-Henriette, princesse douairière, la femme forte du royaume. La reine Hélène-Marie, « une âme d’élégie, de lecture et de rêve », n’a d’autres amies que la princesse et la duchesse de Löwen. Se retrouvant en tête à tête avec l’éclatante duchesse, Maurice est questionné sur la vie des lettres parisiennes.

Un extrait qui pourrait s'intitulé Choses vues.


[...] Elle s’inquiéta de la vie de Verlaine, Goncourt, Loti, Daudet et Coppée :
- Je m’intéresse à eux, par cela même qu’ils se donnent dans leurs œuvres. Ils attisent la curiosité, alors qu’il est tout à fait indifférent de savoir ce que font Zola ou monsieur Leconte de Lisle… Est-ce que monsieur Verlaine est vraiment un tel monstre ?
- Je ne l’ai guère aperçus qu’une fois, madame, dans la fumée et la poussière, ivre, parlant comme un enfant malicieux. Sa laideur était en effet amère, un peu fatale, mais ses pauvres yeux bridés ne m’ont paru ni sans beauté ni sans charme. Le comte de Montesquiou le tient, malgré le coup de couteau en Belgique, pour une âme inoffensive, que le bonheur, venu en son temps, aurait rendue tout à fait aimable.
Il parlait pour parler, pris, dans ce merveilleux sillage de femme, d’une émotion religieuse. Mais c’était une ivresse lucide.
-Monsieur Loti, fit-elle, doit être un merveilleux causeur ?... C’est le frère du divin Lamartine, la même éloquence limpide et sans borne…
-Vous trouvez ? Je n’aperçois pas deux natures plus dissemblables. Aussi bien Loti est, parmi les autres hommes, un sphinx de silence.
- C’est qu’il se donne tout à son rêve ?
- Ou qu’il parle difficilement ! Je crois bien que le silence est, le plus souvent, une maladie. Sa dignité est faite de lenteur de pensée. – Les Anglais sont sages d’avoir adopté le mépris – comme signe qu’ils ne savent ni comprendre ni répondre assez vite… ou assez bien ! Mais, pour Loti, il y a dans son silence les longues nuits maritimes, les déserts d’astres, l’étincelante nostalgie des archipels.
- Mais vous renversez mes images ! dit la duchesse avec un mouvement qui donnait à ses joues une élégance de gaieté moqueuse. Et vous allez me dire aussi que M. Daudet est dur, que ses cheveux ne sont pas blonds, ni ses yeux bleus, ni ses mains petites et féminines et qu’il parle mal !
- Il parle comme un dieu à la vue basse, madame ; il a de longs cheveux noirs, de beaux yeux bruns aveuglés, de grandes mains nerveuses, une voix rauque exquise, et un reste d’accent du Languedoc qui est âpre.
- Et M. Coppée est un Bonaparte du Montparnasse ?
- C’est vrai que le menton de M. Coppée avance un peu, mais sans rien de la vilaine galoche de Bonaparte. Le reste du visage est plutôt d’un marin de Cornouailles ; des yeux de ramier, rendus plus pâles par un teint corrodé, une hardiesse qui parut longtemps gamine, - un ensemble de finesse, de franchise, de charme et de bonté !
Il vit que la duchesse le regardait avec ironie. Il n’en fut pas troublé. Il n’était ému que du culte de la grâce.
- Il fallait bien que je vous réponde, fit-il en souriant.
- Oh ! je suis bien provinciale tout de même ! Ma curiosité était réelle. J’ai senti que vous me disiez des choses vues.
Elle s’éloigna […]

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