mardi 30 octobre 2007

MARIE KRYSINSKA CABARETS ARTISTIQUES

Aujourd’hui une dame, il y en eu peu dans ce blog, il fallait rectifier le tir.

Poète, musicienne, compositrice, romancière même, Marie Krysinska est surtout connue pour avoir revendiqué « l’invention » du vers libre, et pour la polémique qui l’opposa à Gustave Kahn, autre postulant à l’invention.
Nous ne trancherons pas ici cette question, d’un byzantinisme tout à fait « fin de siècle », et qui par-là même ne peut-être résolue sans une étude préalable de l’histoire de la prosodie au XIXe siècle, ce que je me garderais bien de tenter.
Marie Krysinska fréquentait le Montmartre des années 1880, elle fut de tous les cercles artistiques, seule femme à fréquenter Hirsutes, Hydropathes, Zutistes et autres Jemenfoutiste, elle récitera ses poèmes au Chat Noir, les publiant dans la revue du même nom.
J.-H. Rosny (encore lui), dans sa préface aux Rythmes Pittoresques, en 1890, rappelait : « Madame Krysinska publiait en effet, en 1882 et 1883, époque où la rupture des moules n’avait pas encore de partisans, des morceaux tels que Symphonie en gris, Balade, Les Bijoux Faux, Symphonie des Parfums, Chansons D’Automne, Berceuse Macabre, Le Hibou, morceaux qui offrent la technique des vers libres préconisés en ces derniers temps, par les détails de cadence, de modulation et même de typographie qui caractérisent les essais des groupes rénovateurs ou pseudo-rénovateurs contemporains ».


Les critiques feront de Marie Krysinska une novatrice, ses vers annonçant dès 1882 le vers-librisme symboliste, ou comme Mendès (1) et Rachilde (2) une expérimentatrice par erreur ou paresse. Marie Krysinska est l’auteur de trois recueils de poèmes, Rythmes pittoresques (Lemerre, 1890), Joies errantes : Nouveaux Rythmes pittoresques (Lemerre, 1894), Intermèdes : Nouveaux Rythmes pittoresques. (Vanier, 1904), de deux romans publiés, Folle de son corps (Victor-Havard, 1896), La Force du désir (Mercure de France, 1905), et de nombreuses collaborations à des revues et journaux, voir d’un roman-feuilleton Juliette Cordelin publié dans L'Eclair : Supplément littéraire illustré (du 22 janvier au 12 mars 1895). Depuis quelques années, grâce aux travaux de Seth Whidden (3) le nom de Marie Krysinska apparaît plus souvent dans les études littéraires. Je donne ci-dessous un extrait de La Force du désir, tiré du chapitre intitulé Dans les cabarets artistiques, Marie Krysinska qui a bien connu la grande époque des « Mac-Nab et des Jules Jouy », n’y est pas tendre pour la nouvelle génération de chansonniers et pour le public des cabarets de 1905.

(1) « la jeune Polonaise faisait-elle bien exprès, tout à fait, de s'exprimer en cette forme ? » Catulle Mendès Rapport sur le mouvement poétique français (1902)

(2) « Le vers libre est un charmant non-sens, un bégayement délicieux et baroque convenant merveilleusement aux femmes poètes dont la paresse instinctive est souvent synonyme de génie » Rachilde, Mercure de France (août 1894)

(3) "Le corps féminin comme objet en mouvement : Arthur Rimbaud et Marie Krysinska." Poétiques de l'objet en France. Ed. François Rouget and John Stout. Marie Krysinska : A Bibliography." Bulletin of Bibliography 58. 1 (March 2001) "Marie Kryinska's Prefaces and Letters : Not d'un Voyant, but d'une Défiante." Lloyd and Nelson 180-193. Subversions in Figure and Form : The Post-Parnassian Women and Versification of Arthur Rimbaud and Marie Krysinska." Diss. Brown U, 2000.


Envoi à Roger Miles auteur d'un ouvrage intitulé Le 18e Siecle. Regence-Louis XV. Voitures et chaises a porteur - Les metaux precieux - Le Bois...

La couverture d'Intermèdes est illustré par le peintre Georges Bellenger marié avec Marie Krysinska depuis 1885.

Dans les cabarets artistiques

La Force du désir,

Mercure de France, 1905

Luce, de son côté, joue et chante un peu partout.
Du bout de ses jolies quenottes rieuses, elle détailles les chansons populaires du temps jadis.
[…]
Entre ses tours de chansons, qui alternent avec des numéros de chansonniers, Mlle Luce observe ses camarades.
C’est une consternante collection.
Des faciès recrutés parmi ces jeux de massacres qui font la joie des baraques foraines, - façonnés évidemment de main de chourineurs ; des corps malingres, évadés, dirait-on, des bocaux de naturalistes, ou flatulents et boursouflés de sédentaires – s’affublent de vestons négligés.
Voilà pour le régal des yeux.
Des néants de voix, élimées et rocailleuses, des voix perforatrices comme des vilebrequins, des prononciations bafouillardes qui desservent des textes désolants de banalité, de grossièreté morne.
Voici pour la jubilation de l’esprit.
D’aucuns, auteurs compositeurs sans connaître une syllabe de musique et guère plus de littérature – s’accompagnent eux-mêmes au piano en braillant leur improvisation (la même pendant trois ans) et cela produit l’effet d’une fin de noce de province où le cousin de la mariée, complètement saoul, se serait dit :
- Il se peut que je sache jouer du piano, après tout, je n’ai jamais essayé.
Sur ce, il met ses coudes sur l’ivoire.
Voici justement M. Xavier Broiegravas, poète-musicien selon la formule ci-dessus.
Il est grand et de corpulence bien servie ; l’aspect d’un chef de cuisine, brigadier de gendarmerie à ses heures.
Aussi, le clavier battu comme plâtre, lapidé par ces mains pesantes de deux rudimentaires et invariables accords, fournit-il un fracas assourdissant, discordant et assassin d’oreilles.
De ce désagréable vacarme émerge péniblement une intention mélodique banale et amorphe, mais glapie avec un toupet d’une voix détimbrée et d’une articulation bredouillonne.
Le public ?
Oh ! Le public est d’une patience d’ange.
Empilé, comme dans un wagon les bestiaux, coudes aux côtes et genoux pressés, parmi une atmosphère empestée de fumée – il écoute, embêté mais respectueux, à sa place payée deux francs.
Or, il n’est point douteux que si, dans la maison qu’il habite, le sort ennemi lui avait donné en voisinage quelques virtuose de cette force il ne flanquât congé avec fracas.
Si même sa tante, riche et célibataire, avait la rage d’exhiber pareille attraction à ses thés du dimanche, il n’y mettrait jamais les pieds – le plumcake fût-il frais et l’héritage considérable.
C’est le tour du poète rosse, André Labarde.
Il n’est pas beau à voir, et son veston est pelliculeux.
Il psalmodie d’un air vanné des turpitudes en strophes dénuées d’esprit et de vérité, autant, pour le moins, chargées en laideur que le sont en joliesses les plus fades couplets d’opéra-comique. Art – si toutefois on ose ce blasphème – Art aussi faux et plus vilain.
Mais, une outrecuidance et un inamovible contentement de soi, luisent sur la face, plutôt patibulaire du poéte-rosse, vernissent de sueur le front déprimé, travaillent d’un sourire répugnant sa bouche de maître en vogue.
Car, il a du succès, le monstre !
Et, Luce Fauvet, en train de boire un grog américain, se demande si ce public de bourgeois et de boutiquiers ne goûte point, dans ces exhibitions devenues à la mode, le rare et mauvais plaisir de voir déshonorée, abaissée et avilie devant lui, l’effigie de l’Art, et bafoué le simulacre de la Pensée orgueilleuse et féconde – ces gêneurs de sa médiocrité. Mais, voici le benjamin des dames, le ténor-poéte Edmond Julep.
Celui-ci, tiré à quatre épingles, l’air d’une chromo ; le smoking parementé de velours – une invention a lui.
C’est d’ailleurs la seule invention
Dont il se soit avisé pendant sa carrière de ténor-poéte.
Car, ses vers sont d’une platitude à écoeurer le cochon doué du plus solide estomac.
Le petit filet de voix au glucose fait néanmoins pâmer lorsqu’il sussurre les infortunes d’un amant trompé et pas content – une trouvaille – et la fougue des amours espagnoles – qu’il distille en dormant.
Trois ou quatre fantaisistes de valeur se sont pourtant mêlés à cette cohue de nullités – alléchés par le gain facile et le succès immédiat.
Hyspa – anglo-méridional, pince-sans-rire, fait partager son attendrissement farceur sur le destin du Ver solitaire qui, élégiaque, se plaint – avec accent :

Je n’ai jamais connu mon père ni ma mère.

Dominique Bonnaud, spirituel et virtuose de la rime funambulesque, dans son Expansion coloniale, dit avec brio très personnel mille drôleries sur ce sujet plus apte à inspirer des réflexions amères.

Ferny héritier – non sans originalité – des Mac-Nab et des Jouy – désopile avec La visite présidentielle.
La blague d’actualité politique a amené dans cette arène de nombreux bureaucrates, employés de ministères, qui majorent ainsi, en cabotinant, leurs faibles honoraires ; point gênés de leur médiocrité – ni le public non plus d’ailleurs.
Ce public, par moments, est bousculé sans vergogne par le garçon porteur de bocks qu’il fait circuler quand même et en passant sur le corps des consommateurs, leur en renversant quelques-uns dans la nuque.
Pendant ce temps le débit d’un chansonnier va son train, comme il peut. Mais celui de la consommation, pensez donc !
Voilà l’important et le vraiment sérieux.


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