Poète, musicienne, compositrice, romancière même, Marie Krysinska est surtout connue pour avoir revendiqué « l’invention » du vers libre, et pour la polémique qui l’opposa à Gustave Kahn, autre postulant à l’invention.
(2) « Le vers libre est un charmant non-sens, un bégayement délicieux et baroque convenant merveilleusement aux femmes poètes dont la paresse instinctive est souvent synonyme de génie » Rachilde, Mercure de France (août 1894)
(3) "Le corps féminin comme objet en mouvement : Arthur Rimbaud et Marie Krysinska." Poétiques de l'objet en France. Ed. François Rouget and John Stout. Marie Krysinska : A Bibliography." Bulletin of Bibliography 58. 1 (March 2001) "Marie Kryinska's Prefaces and Letters : Not d'un Voyant, but d'une Défiante." Lloyd and Nelson 180-193. Subversions in Figure and Form : The Post-Parnassian Women and Versification of Arthur Rimbaud and Marie Krysinska." Diss. Brown U, 2000.
La couverture d'Intermèdes est illustré par le peintre Georges Bellenger marié avec Marie Krysinska depuis 1885.
Dans les cabarets artistiques
Mercure de France, 1905
Luce, de son côté, joue et chante un peu partout.
Du bout de ses jolies quenottes rieuses, elle détailles les chansons populaires du temps jadis.
[…]
Entre ses tours de chansons, qui alternent avec des numéros de chansonniers, Mlle Luce observe ses camarades.
C’est une consternante collection.
Des faciès recrutés parmi ces jeux de massacres qui font la joie des baraques foraines, - façonnés évidemment de main de chourineurs ; des corps malingres, évadés, dirait-on, des bocaux de naturalistes, ou flatulents et boursouflés de sédentaires – s’affublent de vestons négligés.
Voilà pour le régal des yeux.
Des néants de voix, élimées et rocailleuses, des voix perforatrices comme des vilebrequins, des prononciations bafouillardes qui desservent des textes désolants de banalité, de grossièreté morne.
Voici pour la jubilation de l’esprit.
D’aucuns, auteurs compositeurs sans connaître une syllabe de musique et guère plus de littérature – s’accompagnent eux-mêmes au piano en braillant leur improvisation (la même pendant trois ans) et cela produit l’effet d’une fin de noce de province où le cousin de la mariée, complètement saoul, se serait dit :
- Il se peut que je sache jouer du piano, après tout, je n’ai jamais essayé.
Sur ce, il met ses coudes sur l’ivoire.
Voici justement M. Xavier Broiegravas, poète-musicien selon la formule ci-dessus.
Il est grand et de corpulence bien servie ; l’aspect d’un chef de cuisine, brigadier de gendarmerie à ses heures.
Aussi, le clavier battu comme plâtre, lapidé par ces mains pesantes de deux rudimentaires et invariables accords, fournit-il un fracas assourdissant, discordant et assassin d’oreilles.
De ce désagréable vacarme émerge péniblement une intention mélodique banale et amorphe, mais glapie avec un toupet d’une voix détimbrée et d’une articulation bredouillonne.
Le public ?
Oh ! Le public est d’une patience d’ange.
Empilé, comme dans un wagon les bestiaux, coudes aux côtes et genoux pressés, parmi une atmosphère empestée de fumée – il écoute, embêté mais respectueux, à sa place payée deux francs.
Or, il n’est point douteux que si, dans la maison qu’il habite, le sort ennemi lui avait donné en voisinage quelques virtuose de cette force il ne flanquât congé avec fracas.
Si même sa tante, riche et célibataire, avait la rage d’exhiber pareille attraction à ses thés du dimanche, il n’y mettrait jamais les pieds – le plumcake fût-il frais et l’héritage considérable.
C’est le tour du poète rosse, André Labarde.
Il n’est pas beau à voir, et son veston est pelliculeux.
Il psalmodie d’un air vanné des turpitudes en strophes dénuées d’esprit et de vérité, autant, pour le moins, chargées en laideur que le sont en joliesses les plus fades couplets d’opéra-comique. Art – si toutefois on ose ce blasphème – Art aussi faux et plus vilain.
Mais, une outrecuidance et un inamovible contentement de soi, luisent sur la face, plutôt patibulaire du poéte-rosse, vernissent de sueur le front déprimé, travaillent d’un sourire répugnant sa bouche de maître en vogue.
Car, il a du succès, le monstre !
Et, Luce Fauvet, en train de boire un grog américain, se demande si ce public de bourgeois et de boutiquiers ne goûte point, dans ces exhibitions devenues à la mode, le rare et mauvais plaisir de voir déshonorée, abaissée et avilie devant lui, l’effigie de l’Art, et bafoué le simulacre de la Pensée orgueilleuse et féconde – ces gêneurs de sa médiocrité. Mais, voici le benjamin des dames, le ténor-poéte Edmond Julep.
Celui-ci, tiré à quatre épingles, l’air d’une chromo ; le smoking parementé de velours – une invention a lui.
C’est d’ailleurs la seule invention
Dont il se soit avisé pendant sa carrière de ténor-poéte.
Car, ses vers sont d’une platitude à écoeurer le cochon doué du plus solide estomac.
Le petit filet de voix au glucose fait néanmoins pâmer lorsqu’il sussurre les infortunes d’un amant trompé et pas content – une trouvaille – et la fougue des amours espagnoles – qu’il distille en dormant.
Trois ou quatre fantaisistes de valeur se sont pourtant mêlés à cette cohue de nullités – alléchés par le gain facile et le succès immédiat.
Hyspa – anglo-méridional, pince-sans-rire, fait partager son attendrissement farceur sur le destin du Ver solitaire qui, élégiaque, se plaint – avec accent :
Je n’ai jamais connu mon père ni ma mère.
Dominique Bonnaud, spirituel et virtuose de la rime funambulesque, dans son Expansion coloniale, dit avec brio très personnel mille drôleries sur ce sujet plus apte à inspirer des réflexions amères.
Ferny héritier – non sans originalité – des Mac-Nab et des Jouy – désopile avec La visite présidentielle.
La blague d’actualité politique a amené dans cette arène de nombreux bureaucrates, employés de ministères, qui majorent ainsi, en cabotinant, leurs faibles honoraires ; point gênés de leur médiocrité – ni le public non plus d’ailleurs.
Ce public, par moments, est bousculé sans vergogne par le garçon porteur de bocks qu’il fait circuler quand même et en passant sur le corps des consommateurs, leur en renversant quelques-uns dans la nuque.
Pendant ce temps le débit d’un chansonnier va son train, comme il peut. Mais celui de la consommation, pensez donc !
Voilà l’important et le vraiment sérieux.
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