samedi 27 novembre 2010

Lory-Dabo : Tueur de gueuses. Extrait (2)


Feuilleton.

Confession de l'assassin (2)


III

« C'est dans un grand dîner chez les Saint-Claude que germa pour la première fois dans mon cerveau le terrible projet de chercher dans l'assassinat les revenus que me mesuraient si parcimonieusement les cartes. J'en suis redevable à Roger Verneuil, un brave garçon pas très fort, qui serait bien étonné d'apprendre qu'il est responsable des drames dont Paris a été tout affolé ces derniers temps. Ne voilà-t-il pas ce grand dadais qui, pour donner des frissons aux dames, s'amuse à soutenir ce paradoxe que « rien n'est plus beau qu'un beau crime. »

« Paradoxe, disais-je moi-même à cette époque. Vérité, je le proclame aujourd'hui. C'est à faire frémir les honnêtes gens ; mais pourquoi le beau n'existerait-il pas dans le mal comme dans le bien, dans le crime comme dans l'art ? Faut-il une imagination moins riche pour inventer les éléments d'un attentat, que les péripéties d'une épopée, et moins d'habileté pour les combiner ? Il faut de l'harmonie dans une oeuvre d'art ; un rien qui ne rentre pas dans l'ordre général, un rien qui dépasse, pour ainsi dire, l'alignement, choque, dépare l'ensemble et empêche cette oeuvre d'atteindre au beau. Combien n'en faut-il pas dans un crime ? Tout y doit être coordonné dans la plus parfaite mesure, tout préparé, tout prévu ; car une vétille, un point minime négligé, suffisent à ruiner toute l'entreprise. Ainsi, dans un tableau, d'un coup de pinceau en trop ou en moins. Mais je me fais pitié de comparer le crime à toutes ces inventions d'un génie impuissant à vivifier ses créations ! Son rêve est de donner la vie, et il n'en fera jamais autre chose qu'un rêve. Moi, j'ai rêvé de l'ôter, et du premier coup j'ai réalisé mon idéal.

« Tuer pour tuer, non ! C'est la loi des fauves. Mais tuer pour se procurer des jouissances inconnues, tuer dans l'ombre et le mystère, sans que nul arrive jamais à les pénétrer ; jouir de l'effarement universel que l'on soulève dans l'impassibilité de sa volonté, dans la quiétude de sa force ; voir les hommes terrifiés et fatalement impuissants à retrouver l'auteur de leurs épouvantes ; et soi-même – ah ! Voilà la sensation suprême ! - recevoir les témoignages multipliés de leur estime et de leur amitié ; tous les jours, mettre dans leurs mains loyales sa main fumante encore de sang ; être traité toujours comme le plus honnête entre tous ; se savoir – seul sur terre – un monstre de cruauté et d'ignominie, et se moquer, au plus intime de soi, de la sottise humaine – voilà mon lot. Eh ! Quoi ! Tant de siècles écoulés, de civilisation et de progrès, et c'est assez qu'un monsieur quelconque se plaise à semer la mort autour de lui pour que progrès et civilisation ne servent plus de rien, et s'inclinent, annihilés, devant cette petite et infime volonté d'assassin, isolée au milieu de l'auguste chose qu'on nomme la Société, et qu'elle nargue ! Quelle mince idée cela vous donne de l'humanité, et comme cela me remplit d'orgueil – orgueil infernal et satanique, qui me soutient, me fortifie, et sans lequel l'horreur de ma tâche m'aurais depuis longtemps écrasé.

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« Voilà que je m'emballe. Si jamais ces lignes tombaient sous les yeux d'un brave citoyen, ce qu'il aurait de cheveux se hérisserait sur sa tête. Il ne se douterait pas, peut-être, que privé d'une semblable théorie, je serais la proie du remords, et qu'en l'ayant toujours présente à l'esprit, j'espère échapper toujours à ce châtiment des criminels. Je me grise, je me saoule d'orgueil, et le reste n'est plus rien.

« Mais je reviens à mes moutons, moi le héros de l'abattoir. C'est donc cet imbécile de Verneuil qui me mit en tête toutes ces idées de carnages. Vagues d'abord, elles se précisèrent petit à petit. L'une après l'autre, mes répugnances de la première heure disparaissaient. Placé entre le travail et une vie modeste, ou la continuation de mon existence de luxe et de plaisirs, je n'eus pas de longue hésitation : j'écartai de suite la première hypothèse. Et j'admis la possibilité de devenir un assassin, plus facilement que je n'avais admis, deux ans auparavant, celle de devenir voleur.

« De là à chercher les moyens d'en tirer le plus de profits, en courant le moins de risques, il n'y avait pas même l'épaisseur d'un préjugé. A quoi bon décrire comment j'arrivai à me créer, logiquement, un « type d'assassinat » ? On le devine aisément, étant donné mon état d'esprit.

« Bref, il devint évident pour moi que je devais choisir mes victimes dans une classe peu estimée ; l'émotion causée par leur disparition serait moins grande, et les regrets qu'elles devaient laisser après elles, moins vifs. (Quelle philanthropie, n'est-ce pas ! Je ne voulais pas faire trop de malheureux). De plus, il me les fallait riches, d'une richesse sur laquelle le premier venu put mettre la main ; car autrement, pourquoi les tuer ? Enfin, il était indispensable qu'elles fussent dans une condition, qu'elles s'agitassent dans un milieu propres à favoriser un crime et à en assurer le mystère.

« Où trouver toutes ces circonstances réunies, sinon chez les femmes galantes ? Elles étaient bien mon champ d'études... Mais elles me trouveraient moins gai que Brantôme.

« Universellement méprisées – et davantage par ceux qui se servent d'elles ; généralement sans parents ou retranchées de leur famille, comme des membres pourris, - ce qui reviens au même, - leur mort, si tragique soit-elle, ne provoque qu'un émoi passager pour les indifférents, qu'un chagrin tempéré chez les autres. Riches, cinq sur mille le sont (c'était assez pour moi) ; mais celles-là le sont bien. Toujours avares, car, « dans cette partie », les avides et les économes seules font fortune, elles accumulent près d'elles, le plus près possible, les gages précieux de leur prospérité. Leur avoir consiste en bijoux – dont elles se parent comme des châsses, pour exciter le dépit des chères camarades – en billets de banque, en or et en titres au porteur. (J'ai remarqué que les Ville de Paris sont très courues dans le demi-monde). Enfin, elles ont les relations les plus étendues, les plus distendues ; leur intimité s'ouvre à tout venant, et la valetaille qui les entoure est précisément payée pour ne rien voir, ne rien entendre et surtout ne rien dire.

« Tout cela était parfaitement raisonné ; dès lors ces malheureuses étaient vouées à mes coups. Je me suis toujours très bien trouvé du raisonnement ; et je suis certain de lui être redevable de mon impunité. »

Confession de l'assassin (1). (3). La Tuerie de l'Avenue Montaigne (1).

A suivre....



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