En juillet 1898, Jean de Tinan, dans le quotidien La Presse, annonce le premier roman de Liane de Pougy, L'Insaisissable. Sous couvert d'une lettre de Célimène à Philinte, il prend la défense de la danseuse et courtisane.
La Guirlande de CélimèneCélimène à PhilinteCertainement je lirai l'Insaisissable ! - faites-moi envoyer Le Gil Blas dès que cela commencera – et tout le monde le lira comme moi, c'est bien là au fond ce qui vous enrage. Je le lirai bien régulièrement, et je suis déjà persuadée que c'est très bien...Pourquoi ne serait-ce pas très bien ? Vraiment, messieurs et dames, je vous trouve tous infects... parce que Liane veux publier un roman, vous voilà tous à jaser après elle de la réclame grincheuse... Pourquoi ne serait-ce pas très bien, ce roman ? Je vous assure que Liane a « de l'éducation » - une de mes cousines a été sa camarade de couvent, elles se sont un peu perdues de vue depuis, mais je ne doute pas que maintenant, elles ne renouent. Une artiste... ça n'est plus du tout la même chose...Et vous sentez si bien, ô Philinte et Cie, que ce roman doit être très bien, que vous insinuez déjà « qu'il n'est pas d'elle »... ou tout au moins elle a subi tant d'influences... chacun sait que la femme n'est qu'un reflet... et on les cite un peu pèle-mêle, ces influences... Eh mais ! Il me semble que si le roman de Liane reflète à la fois Arsène Houssaye, Jacques-Emile Blanche, Meilhac, Baudelaire, Bourget, Pierre Louÿs, Murger et Jean Lorrain, ça doit être plutôt ce qu'on appelle une oeuvre originale... Philinte, que 'ai donc hâte de le lire...Ce sera factice, dites-vous, et Liane l'est elle-même, sans naïveté... Elle s'habille d'iris blancs, c'est trop salissant... Elle aime les forêts russes, c'est impardonnable... et, qu'elle se suicide quelquefois c'est bien, mais peut-on admettre qu'elle l'écrive à des évêques ! Philinte, voulez-vous que je vous dise ce que vous êtes... Philinte, vous êtes un vilain curieux... et je sais pourquoi.L'Insaisissable ! Je ne trouve pas ce titre si mal. Je suis sûre que la formule en deviendra à la mode, car vous savez que la mode des titres de roman est la plus contagieuse des modes... Ernest La Jeunesse n'annonçait-il pas déjà l'Inimitable..., attendez seulement quelques mois, et vous pourrez écrire l'Implacable... sur celle que l'on ne peut pas plaquer...Je suis méchante. Mais je sens si bien, à travers les phrases sans indulgence de votre lettre, l'aigre douceur de certaine personne, souvenir de votre enfance, qui pardonnerait bien à Liane son porte-plume d' écaille, mais ne lui pardonnera jamais sa nuque et ses épaules d'ivoire...Ne vous laissez pas influencer, mon petit Philinte, ne soyez pas si petit garçon... vous me donneriez presque envie de me laisser aimer par vous, pour vous aider, comme c'est la mode, à recouvrer votre indépendance.VotreCélimène
Pour copie :
Jean de Tinan
La Presse 1er juillet 1898
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