J'ai vécu 1900.
Maurice Donnay (1859-1945), c'est au Chat Noir (le second), que débuta ce futur académicien français. En 1892 il écrit sa première Lysistrata, il s'illustra par la suite dans les comédies de Boulevard avec des pièces comme : Les Amants (1895), La Douloureuse (1897) et Le Torrent (1899). En collaboration avec Lucien Descaves il écrivit pour le Théâtre Libre d'Antoine, La Clairière (1899) et Oiseaux de passages (1904).
Ce volume contient des extraits de son journal, de 1893 à 1914. On y rencontre surtout le monde du théâtre, acteurs et auteurs, et des académiciens. Mon choix c'est porté vers les souvenirs sur des auteurs plus familiers de Livrenblog.
Le vendredi 10 janvier, enterrement de Verlaine par une froide mais claire matinée. Un joli enterrement de poète, avec mieux que des célébrités et des personnages officiels : avec des fervents et des disciples. La foule, le cercueil, et des gens grimpés sur les tombes, des groupes de jeunes gens avec des têtes extraordinaires, des poètes qui ont du talent comme tout le monde et des cheveux comme personne. Des discours tombent : ce sont des pelletées de gloire en attendant les pelletées de terre du fossoyeur. Adieux au pauvre Lélian ; discours de François Coppée, ému et sans prétention ; Lepelletier ridicule et sans sincérité (il se fait sévèrement juger par mon voisin Albert Samain). En revanche, très joli discours de Maurice Barrès, avec des passages d'une ironie merveilleuse. Mais, Barrès, la jeunesse intellectuelle, c'est vous, et non pas ceux au nom desquels vous parlez, et qui ne comprennent pas plus qu'ils n'ont compris Verlaine et les autres. Ensuite, une prière de Catulle Mendès, poète parnassien, vulgarisateur des moeurs lesbiennes, le « Jules Verne de Lesbos », comme nous l'appelions au Chat Noir ; Catulle Mendès qui a été beau, mais qui, maintenant, est gras et dont la chair semble couler, ainsi qu'un fromage de brie. « Va là-haut vers ton Dieu, monte vers ton Dieu par des escaliers de marbre léger, au milieu des frémissements des lauriers-roses... », dit Mendès, très pâle, d'une voix blanche, lointaine, comme d'outre-tombe. Il essuie même une larme. Et, cinq minutes plus tard, à la porte du cimetière, Catulle Mendès, qui est déjà consolé, le col du pardessus relevé, le chapeau haut de forme en arrière, raccroche des convives pour le déjeuner, et dit d'une voix joyeuse : « Que penseriez-vous du père Lathuille ? » ce qui amuse beaucoup Albert Samain.
mercredi 5 mars
A la Comédie-Française, réunion dans le cabinet de Claretie. Je maintiens mes droits au sujet de l'Autre Danger, qui doit passer avant Les Affaires sont les Affaires. Je dis à Guitry, directeur de la scène, que je reconduis chez lui, dans la rue de la Paix :
- Crois-tu que Mirbeau m'en veuille ?
- Oh pas une minute, répond Guitry.
- Oui mais toute la vie.
- Evidemment !
Ce dialogue mettait les choses au point.
1904 samedi 27 août
Rentré hier au Prieuré. Ce matin, Porel déjeune à la maison. Il nous parle de la lecture d'une pièce de Mirbeau et de Thadée Natanson, le Foyer, contre la charité, ou plutôt contre les oeuvres de charité. Porel dit, dans son langage qui n'est qu'à lui, que c'est plein de théories socialistes et grimaçantes.
1905
mardi 28 février
A midi, le facteur apporte le courrier, le Figaro, où je lis la mort de Marcel Schwob. Il avait dîné à la maison le mercredi 8 février, moins de quinze jours avant notre départ. Nous devions faire une pièce ensemble, tirée d'une des nouvelles des Vies imaginaires. Il devait m'envoyer ici des livres, un scénario. J'allais lui écrire pour lui rappeler sa promesse. Hélas ! Je ne pensais pas que son silence serait aussi long. Un autre jour, il avait dîné chez nous avec Moreno, qui partait pour une tournée. Il est mort, dans son grand appartement de la rue Saint-Louis-en-l'Ile ; il est mort seul, tout seul, sans que sa compagne fût auprès de lui. Son fidèle Chinois l'a soigné sans doute ; mais, à la pensée de cette agonie, je frissonne d'horreur.
Jean Lorrain
jeudi 30 mars
Jean Lorrain et sa mère déjeunèrent à la maison. Jean Lorrain aux doigts chargés de bagues, au chapeau gris pointu, au foulard jaune et noir salamandre, aux boutons de manchettes de somptueuses verroterie. Il nous raconte les scandales de la Riviera.
lundi 2 juillet
Il aimait la nature, les choses élégantes.
1905
dimanche 29 octobre
Passé la journée auprès de mon pauvre Alphonse Allais. Oh ! Ce cadavre dans une petite chambre d'un hôtel de la rue d'Amsterdam !
... Je regarde une dernière fois Alphi avant de m'en aller. Ce matin, il semblait dormir très calme ; il avait l'air de faire une fumisterie aux siens, le pauvre humoriste ; mais maintenant, on voit qu'il fait des efforts pour conserver son air de pince-sans-rire, des efforts visibles, sensibles. La soeur me dit :
- C'était un vrai Normand... Regardez, il a l'air d'un Scandinave...
C'est absurde qu'elle me dise ça, mais c'est vrai. La tête pâle, longue, la moustache blonde retombant sur les lèvres minces... oui, c'est un homme du Nord, un Northman. Maintenant que la figure est rentrée dans le calme, débarrassée de l'expression parisienne, fumiste, montmartroise, - oui, maintenant qu'il n'y a plus sur ce visage le reflet des préoccupations qui nous rendent tous semblables, l'origine reparaît avec une netteté singulière.
1 commentaire:
Bonjour et toujours bravo !
A propos de l'enterrement de Verlaine, voici une gazette de Ponchon en son honneur.
http://raoulponchon.blogspot.com/2007/09/pauvre-lelian-mais-de-ce-quil-pass-sa.html
Bien cordialement
Bruno Monnier
Enregistrer un commentaire