Jean Dolent ou la critique elliptique.
1887
J'ai changé bien des fois de certitude. Je suis moins, toujours moins sensible aux effets immédiats. J'aimais, j'aime toujours le beau fracas, l'aptitude à mettre les formes en actions, le don de trouver l'accord des tons intenses. J'aime la belle matière ; mais ce qui me prend le plus fortement, c'est l'œuvre où l'artiste me mène plus loin que là où il s'arrête – où il paraît s'arrêter.
J'aime toujours : Ribot, Henner, Israëls, Fantin-Latour, Vollon, Degas, Whistler, Jongkind, Harpignies. Puvis de Chavannes, Gustave Moreau, Rodin, Eugène Carrière me passionnent. Rops est subtil. Odilon Redon est singulier. Besnard, Cazin, Uhde m'intéressent ; Dalou me récrée.
Je vois en moi. Ce que je cherche, c'est un autre moi-même, un artiste qui me ressemble en beau, aussi sensible et mieux doué. Dans cette dernière évolution d'esprit, j'ai pris l'horreur, mieux le dédain des choses circonscrites. Mon idéal : Vérités ayant la magie du rêve.
J'ai le plus vif plaisir à feuilleter un album d'artiste : - un croquis- une indication – une recherche de mouvement – d'harmonie. « C'est si peu de chose » ; ce « peu de chose » m'enchante : une attache – une main – une oreille.
Ce que je publie aujourd'hui ressemble à l'album de l'artiste. Des notes prises à l'atelier – au Musée – dans la rue (dans la rue le plus souvent). Le pêle-mêle est rassurant ; pas de déformation par une inutile mise en œuvre.
Je reste dans mon sujet : je ne sors pas de la vie.
On me dit : Vous n'êtes pas libre. Vous ne pouvez juger librement un médiocre artiste votre ami.
Je réponds : Je suis libre, et, pour garder ma liberté, je n'ai pas d'ami, médiocre artiste.
Ce petit livre est un aérostat qui quitte terre aux premières pages – avec un homme dans la nacelle.
Cette trouvaille du samedi me permet de signaler la grande étude de
Pierre Pinchon : Jean Dolent, 1835-1909. Écrivain, critique d’art et collectionneur. Presses Universitaires de Rennes, 2010, 16,5 X 24 cm, 290 pages. ISBN : 978-2-7535-1025-8
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