dimanche 23 décembre 2007

Albert LANTOINE Les MASCOUILLAT

A L'OMBRE DU BEFFROI

Albert LANTOINE : LES MASCOUILLAT. Bibliothèque de La Plume, 1898.

Recueil de nouvelles naturalistes, littérature régionaliste, étude de mœurs provinciales, Les Mascouillat d’Albert Lantoine pourrait répondre à toutes ces définitions, mais aucune d’elles n’est entièrement satisfaisante. Au naturalisme il emprunte les descriptions physiologiques, la volonté de rendre le quotidien, la vie banale, et l’étude d’un milieu social. Du régionalisme littéraire il a la profonde connaissance d’un terroir, d’une ville, et de ses habitants, leur parler, leurs habitudes, et de la topographie des lieux.
Les différents récits ou scénettes composant Les Mascouillat ne sont pas à proprement parlé des nouvelles, l’auteur y décrit des événements se déroulant à Arras, une ville du Nord de la France, en Artois, dans le Pas-de-Calais. La plupart de ces courts récits ont pour personnages des membres de la famille Mascouillat, le père, la mère et leurs trois filles. Les filles Mascouillat sont l’exemple de «l’innocent putanisme des jouvencelles arrageoises ». Le père, républicain, membre du cercle démocratique, est cordonnier. Les amants des filles, étudiants lettrés, trouvent (comme l’auteur) dans cette famille « un microcosme, résumant les mœurs d’une certaine classe ouvrière où la vie débridée des filles étaient acceptée presque fatalistement ».
Une sortie des filles en galante compagnie dans un estaminet de campagne, leurs aventures amoureuses avec de jeunes « messieurs », étudiants ou militaires, une soirée au cercle démocratique, la tragique mésaventure, à la foire d’Arras, de Hady Messaoud dit « Bono-Béseff », marchand ambulant de produits exotiques, dans ces scènes pittoresques, amusantes ou tragiques, l’auteur peint par petites touches, les caractères et les actes de ses personnages, les détails disséminés, ici ou là, finissent par constitués des portraits complets.
Mais c’est la langue elle-même, qui constitue à la fois l’intérêt et la faiblesse de ce volume. - « yeux inombrés de soucis », « des fumées de locomotive citrinaient dans le soleil », « Vergennes riota », «des mains blandiciantes », « ils s’encourtinaient », « singesque », « d’églisials clochers», « fatalistement », « trôler de chambres en chambres », « des racontages », « l’avertissement pour un quadrille fanfaré en le bal, tarentula Jeanne », « gouliafre » - J’arrête ici la liste des néologismes, mots anciens, termes populaires, et autres verbes formés à partir d’un nom commun (« ils pélerinagent »). De Huysmans à Rosny, de Lemonnier au Goncourt, les auteurs fin de siècle, même les moins taxés de décadentisme, ont usés des termes rares et des néologismes, mais Albert Lantoine, truffe à l’excès sa langue d’ « insenséismes », ses personnages « s’éjouissent », « s’hilarent », et « clament aux vesprées d’auréals passages de Salammbô » tout ceci entrelardés de bouts de dialogue en patois, dans des décors de kermesses, d’estaminets campagnards et de bals populaires. Ce décalage entre la langue employée et le sujet traité fait de ce roman, l’exemple, raté, mais poussé à l’extrême de la rencontre entre la description crûment naturaliste et l’écriture artiste. D’autres exemples viennent immédiatement à l’esprit, et en premier celui de Camille Lemonnier, autre Flamand, et de son roman Happe-Chair, mais alors que Lemonnier réussit à intégrer parfaitement le discours patoisant de ses personnages à son style artiste, les récits d’Albert Lantoine laissent trop apercevoir l’artifice d’une langue fabriquée à la lecture du Littré. Cette réserve faîte, Les Mascouillat, peut encore séduire, outre les nordistes qui y retrouveront la saveur, et les travers, de leur terroir, les amateurs d’histoire de la littérature et les collectionneurs de documents.

Afin de connaître un peu mieux l'auteur je donne ci-dessous son portrait par S.-Ch. Lecomte.



Albert LANTOINE

L’HOMME.

par Sébastien-Charles Lecomte

Extrait de la revue lilloise Le Beffroi, Art et littérature modernes, fascicule 29, Novembre 1902. N° spécial Albert Lantoine.


J’éprouve peu de joie à donner la biographie d’un écrivain parce que les renseignements généralement fournis sont d’une utilité discutable pour le faire connaître au public. On devrait placer en épigraphe d’un article comme celui-ci une note, extraite d’un dictionnaire de littérature, dispensant le présentateur, plus soucieux de montrer le portrait psychique, de ces détails oiseux, souvent connus, qui ne prêtent ni à des idées, ni à des phrases. Il est vrai que cette fois il importe de ne point laisser ignorer aux lecteurs du Beffroi et même d’attirer leur attention sur ce fait : que M. Albert Lantoine est né à Arras en 1869, et que c’est sa qualité de nordique (en outre, bien entendu, de son admirable talent), qui permet aux directeurs de cette vaillante revue se lui consacrer le numéro spécial de cette année. C’est là un hommage heureusement rendu, parce qu’il a droit aux louanges de l’élite et au respect de la foule, cet écrivain qui, dédaigneux des réclames mensongères et sans aplatissement devant n’importe quel seigneur de lettres, a écrit ces œuvres : Pierre d’Iris, Elisçuah, Les Mascouillat, La Caserne, Le Livre des Heures, analysées plus loin, discutées peut être, mais qui dénotent un travailleur épris de beauté, et tendant littérairement vers une forme toujours plus harmonieuse, socialement vers une humanité toujours plus fraternelle. Et d’autres poésies, d’autres articles, non réunis en volumes, ont été dispersés au hasard de périodiques nombreux qu’il serait trop long d’énumérer. Et rappelons seulement que selon l’expression de Camille de Sainte-Croix, Albert Lantoine fut « le Benjamin du Chat Noir », car, en 1887, c’est à ce journal si curieux et déjà presque légendaire aujourd’hui, où avaient débuté tant de poètes maintenant célèbres, qu’il donna ses premiers poèmes.
Il y a trois ans, il prit la succession de J. G. Prod’homme, à la rédaction en chef de la Revue Franco-Allemande, qui, publiée en Allemagne et en France, fit tant pour amener cet apaisement des esprits, si constatable dans les deux pays.
Pour définir l’homme extérieur j’emprunterai ces quelques lignes à la conférence faite à Paris, en Novembre 1899, sur le poète qui nous occupe, par M. Achille Essebac, l’auteur de romans fort beaux, quoique d’une thèse un peu osée, et dont le dernier paru, l’Elu suscite des discussions en ce moment ;
« Cloîtré dans le souci de son art, étonnant par l’exclusivisme de sa foi, Albert Lantoine est un chartreux de lettres. Il paraît même, au premier abord, en avoir toute la gravité et tout le recueillement, à moins qu’il n’ait hérité de quelque ancêtre espagnol ce masque froid et calme, aminci par la fuite fuselée d’une barbiche presque militaire, éclairé par des yeux qui pénètrent, de droiture intransigeante, tout le personnage que l’on dirait immortalisé dans ses aïeux par le pinceau d’un Velasquez, et que l’on voit en rêve errant, dans l’atmosphère glacée d’un Escurial au temps de Philippe II. »
« Au moral, Albert Lantoine a l’abominable maladie de la sincérité. Ayant ce défaut d’avoir des opinions très arrêtées sur beaucoup de choses, il l’aggrave en ne craignant pas de les exprimer audacieusement partout où il entend émettre des idées qui ne sont pas les siennes. S’il s’est fait ainsi des ennemis, ce que je veux ignorer, leur châtiment sera d’être obligés de l’estimer quand même. Et dans ses chroniques littéraires, ne s’occupant que de l’œuvre et jamais de l’auteur, il lui est arrivé d’être fort sévère pour un écrivain qu’il louait quelques mois après avec véhémence pour une œuvre nouvelle ; chose fort naturelle assurément, mais extrêmement rare néanmoins, à notre époque où l’amitié inspire presque toute la critique. »
Aussi les conférences de Lantoine sont-elles toujours savoureuses, paraît-il (car les circonstances ne m’ont jamais permis d’aller l’écouter), mais j’aime l’entendre à ses mercredis soirs, dans un petit salon de la rue Custine, encombré de tableaux, de cuivres et de vieux bois, où, deux fois par mois, se réunissent ses amis. On ne retrouve plus l’homme froid du Nord, mais un hôte plutôt exubérant, entraînant ses invités sur les sujets qu’ils connaissent le mieux, vivifiant la conversation de ses aperçus originaux, de ses remarques mordantes, dont la grâce souriante de Madame Côte-Darly tempère un peu l’âpreté. Car, et ici je rends la parole à l’écrivain que j’ai déjà cité : « la femme gracieuse qui est le charme de ce cénacle aimable dont Lantoine est l’esprit, atténue l’assurance affirmative des pensées trop audacieuses et provoque la discussion lumineuse et d’une rare élévation de ton. Madame Lantoine garde de Rome, où se passa son enfance, la grâce capricieuse d’un pays où la beauté se meut de toutes parts et débordé jusque dans les impalpables molécules de l’air soulevées sur les rais d’or du soleil. Il faut la pénétrante attention de l’épouse pour surprendre au fil compliqué de la conversation le mot, qui, habilement frappé au passage, va faire éclater un feu d’artifice d’observations piquantes, de subtile ironie ou de lumineuse controverse. »
En résumé, Albert Lantoine est un grand, pur et noble poète. Mais cet assembleur de rimes impeccables, ce parfait magicien du verbe est un caractère. – Ce savant ciseleur de mots, ce fervent de la Beauté sacrée, est un libertaire. Cet évocateur magnifique et puissant d’Ierouschalaïm et d’Assour est un combattant pour la justice. En lui s’allient le culte, farouchement servi, de notre vieille langue, et l’espoir d’une jeune Humanité, qui sera meilleure. Et c’est enfin l’homme le plus séduisant que je connaisse pour ceux qu’il aime, et, dit-on, - car je n’ai pas vérifié cette assertion, - l’homme le plus désagréable du monde… pour les autres, s’il en existe…


Sébastien-Charles LECONTE


Albert Lantoine sur Livrenblog : La Caserne d'Albert Lantoine par René Ghil.


Aucun commentaire: