De Là-Bas à Esquirol :
Lyon sent le souffre
Joseph Esquirol, de son vrai nom, Adolphe Berthet, est connu des amateurs de J.-K. Huysmans, on trouve, de la correspondance qu'il reçue du maître, des extraits ici ou là (et plus particulièrement dans André BILLY: J.-K. Huysmans et ses amis lyonnais). On connaît de Huysmans un article dans l'Echo de Paris du 24 août 1898, consacré en grande partie au premier roman d'Esquirol, A mi-côte. C'est le début du premier chapitre de son second roman, Cherchons l'Hérétique !, qui nous intéressera aujourd'hui, on y assiste à une visite de l'élève au grand romancier. Après avoir placé son livre sous le signe de Huysmans, en citant en exergue de son titre une citation extraite de De tout ("... à Lyon, où toutes les hérésies survivent..."), l'auteur, pour introduire son roman, n'hésite pas à en donner l'origine, c'est Huysmans qui l'incite à mener l'enquête sur les hérétiques lyonnais.
JOSEPH ESQUIROL
CHERCHONS L’HERETIQUE
CHERCHONS L’HERETIQUE
- Et maintenant quels sont vos projets de livres, vos plans de travail ? disait Savère, l’illustre écrivain catholique, à Jacques Dalin, son disciple et ami.
Celui-ci venu à Paris pour le « service dee presse » de son premier livre – lequel avait eu la chance de rencontrer en la personne de Savère un chand protecteur – se préparait à regagner Lyon où il habitait d’ordinaire, et faisait au maître sa visite d’adieu.
- Hum ! répondit-il. Vous touchez là précisément un endroit sensible. Des projets de livres ? Ma foi je n’en ai guère… ou plutôt je n’en ai point du tout ; et quelqu’un qui m’aiguillerait sur un sujet intéressant me tirerait d’un embarras cruel…
- Voyons, fit Savère, alors cherchons ensemble.
Puis, après un moment de réflexion :
- Tenez, reprit-il, pourquoi, par exemple, n’écririez-vous pas quelque chose sur Lyon, cette ville que vous connaissez bien, que vous aimez, dont vous comprenez l’âme et la poésie ? ses paysages se prêtent aux descriptions ; le caractère – fait de mysticisme et de sens pratique – des Lyonnais, véritables gens du Nord égarés dans le Midi, et curieux à étudier ; l’ensemble…
- Hé ! s’écrie Jacques, je le sais certes bien qu’on peut écrire une belle œuvre sur Lyon ! C’est même ce que j’avais tenté dans mes Enracinés – vous ne vous rappelez pas ? ce fœtus de livre avorté dont je vous avais parlé à l’époque – seulement voilà, ce qu’une telle entreprise ; bâtir une ville, en somme ! suppose de puissance créatrice, d’observation, de style, de-ci, de-çà , en un mot de maîtrise littéraire !
Savère approuve d’un hochement de tête.
- … Alors, poursuit Jacques, dans ces conditions vous comprendrez que je me récuse. D’autant que j’en ai déjà tâté de la petite expérience ! Oh là là ! pas envie de les reprendre, mes Enracinés !
Soit, dit Savère. Mais puisqu’une étude d’ensemble vous effraie, que ne vous bornez-vous à mettre en valeur, à isoler quelque côté pittoresque, quelque trait bien caractéristique de votre ville : tenez, par exemple, le plus savoureux peut-être – le trait hérésies ?... Parfaitement, mon cher ! continue-t-il, souriant de l’air étonné de Jacques. Vous ne semblez pas vous en douter, et pourtant c’est un fait : Lyon est la ville des hérésies. Informez-vous, cherchez, regardez autour de vous, je vous affirme que vous trouverez des hérétiques. Et ce que je dis là, je ne le dis pas au hasard, ayant fait moi-même à Lyon d’assez longs séjours.
- Mais enfin, comment ? murmura Jacques. Des hérétiques ? En vérité, c’est bien surprenant ?
- Néanmoins, je vous le répète, je n’exagère rien. La tonalité générale de cette ville, la tournure d’esprit, la pente d’âme de ses habitants, peut-être même l’influence de son climat, autant de dispositions favorables à la survivance d’hérésies. Et il en survit… Tenez pour certain que Johannès, ce prêtre défroqué mort à Lyon il y a quelques années, et qui soutenait des thèses religieuses si bizarres… Vous en avez bien entendu parler, n’est-ce pas ?
- Oui, répond Jacques. D’ailleurs j’ai lu votre Au-delà.
- …que Johannès a du laisser des continuateurs. Par conséquent, furetez, faites des enquêtes, assignez-vous en quelque sorte une tâche de détective, et je vous prédis découverte d’hérétiques, et récolte d’observations pittoresques dont vous pourrez faire un livre.
(Mentalement, Jacques admire la sincérité de documentation de Savère et des romanciers modernes, leur conscience, leur scrupule à ne parler de rien qu’ils n’aient vu, fouillé, étudié à fond.)
Cependant Savère poursuit avec chaleur le développement de sa pensée. Aussi sa conviction ne tarde-t-elle pas à se communiquer à Jacques qui se sent de plus en plus alléché par le parti possible à tirer du sujet entrevu. Une dernière amarre de larguée, et vogue l’hérétique.
- Très tentants, dit-il, ces hérétiques ; seulement à propos de quoi y aboutir ? sur quel fond de récit, sur quel canevas d’action broder leurs personnages ? J’avoue mon incapacité radicale à narrer des choses que je n’ai point vécues, et alors, dame ! vous comprenez…
- Oh ! voyons, voyons, ce n’est pas sérieux ! Vous trouverez bien moyen d’imaginer une histoire quelconque. La première venue sera la bonne. On a parfaitement le droit d’écrire des livres dans lesquels il ne se passe rien, du moment qu’est approfondi le véritable sujet de l’œuvre – en l’espèce, l’étude d’hérétiques – auquel le prétexte roman sert de véhicule.
- Évidemment, fait Jacques. Alors, ma foi, le sort en est jeté, j’essaierai l’hérétique !... En attendant : chœur final ! La pièce est terminée ! Rideau !
Et sur l’air des dernières mesures du chœur des Soldats de Faust : dirige nos pas, enflamme nos cœurs, il se met à fredonner à mi-voix :
- Cher-chons – l’hérétique, cher-chons – l’hé-ré-tique !
Puis à Savère, qui le regarde en riant :
- Excusez-moi, mais je ne sais pas pourquoi j’ai l’impression, depuis mon arrivé à Paris, d’être à la fois acteur et spectateur d’une sorte de pièce, dont mes nombreuses visites ici, mes courses avec vous chez l’éditeur, le « service de presse » etc., constituèrent les différents tableaux, et que termine définitivement l’épilogue d’aujourd’hui. Un chœur final serait donc bien de circonstance…
Le lendemain, Jacques arrivait à Lyon. Il serra la main du domestique qui était venu l’attendre à la gare, un brave garçon dont la figure réjouie n’avait hélas ! rien de celle d’un hérétique – si tant est que les hérétiques ne présentent point l’aspect de tout le monde – et, quelques moments après, les bagages récupérés et chargés sur un fiacre, maître et serviteur s’acheminaient vers leurs pénates, celui-ci souriant d’un bon sourire de bienvenue, celui-là croyant distinguer dans les bruits des vitres et de ferraille de la guimbarde je ne sais quel persistant chahut gounolâtre : cher-chons l’hérétique, cher-chons – l’hé-ré – tique !
Lors de la rédaction du roman, Huysmans, dans ses lettres, va aiguillonner et commenter les recherches d'Esquirol :
"votre découverte me met en joie. Ne vous arrêtez pas là, suivez la piste, qui vous conduira, sûrement, à de plus curieux loufoques. Soyez sûr de ceci : aucune hérésie, si vieille soit-elle, n'est perdue. De par un coin de France, il existe une personne au moins qui la pratique et la repasse à une autre.
Et Lyon est une terre spéciale pour cette culture - à en chercher et en expliquer les motifs...
Cultivez votre hérétique, et surtout le milieu où il évolue. Il serait bien étonnant que vous ne missiez pas la main sur des cénacles vraiment comiques."
"Je vous mordez aux mystères de Lyon. Poursuivez et taraudez-moi ces gens là. Vous arriverez encore à du plus curieux.
Ce que vous me dites des envoûtements, je le savais. Cà coûte 20 fr., pas cher, pour exterminer son ennemi, et commettre du même coup un somptueux péché ! (...) Soyez sûr de ce que je vous ai dit, toutes les hérésies, toutes les folies sont à Lyon. C'est une ville spéciale. Il y a un livre étonnant à faire."
"De fil en aiguille, vous êtes arrivé à connaître ce mal que j'ai fréquenté à Lyon. Odufre doit être ce greffier que j'ai connu chez Johannès à Lyon. Ils étaient deux pontifes rivaux. (...) Vous voyez, cher monsieur, que j'avais raison de vous signaler la bonne ville de Lyon comme un repaire d'hérésies. Il faudrait tâcher d'en dégager la cause et d'en dire le pourquoi. Ce serait intéressant."
Mais si il félicite Esquirol de l'avance de son roman :
"Merci, cher Ami, de vos renseignements, et de l'homélie cocasse qui les accompagne.
Je vous envie, de toucher à la fin de votre livre"
"N'envoyez pas de manuscrit pour l'instant, car je suis débordé ! Outre d'autres manuscrits qui s'entassent sur mon canapé, je suis occupé par des études sur Paris."
Petite bibliographie de Joseph Esquirol :
A mi-côte. P.-V. Stock, 1898, In-18, 328 p.
Épreuves... d'imprimerie. Librairie Molière, 1902, In-12, 108 p.
Cherchons l'hérétique ! P.-V. Stock, 1903, In-16, 372 p.
Petits et gros bourgeois. P.-V. Stock, 1907, In-18, 374 p.
Revue : directeur avec Joseph Carrère de Le Bloc catholique (Toulouse. 1902) revue mensuelle de doctrine catholique, littérature, bibliographie, philosophie, questions sociales 1re année, n° 1 (nov. 1902) - 25e année, n° 213 (juil./août 1927). In-8 Périodicité : Mensuel, cinq fois par an. Devient : Le Bloc anti-révolutionnaire
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