vendredi 14 janvier 2011

Raymond Duncan : Aux jeunes.



De sa belle voix vibrante, Raymond Duncan a bien voulu - pour nous - crier l'espoir et la joie aux jeunes générations.


AUX JEUNES


Je chante aux jeunes l'avenir, le futur n'est pas le demain, mais le nouveau qu'apportera demain - non le réveil, les trois repas et le sommeil encore répété, mais une nouvelle vision, nouvelle nourriture et nouvelle fatigue du soir ; non un chapitre ajouté à la tradition du passé, mais l'inspiration d'un nouveau, inconnu jusqu'à nos jours.
O jeunes, soyez jeunes ! Soyez rebelles ! Soyez de l'avenir ! Détruisez les vieux et prenez leurs places ! Qu'il soit dit qu'un enfant dirige vers l'enfance un nouveau monde. Que le futur soit fait aujourd'hui et non demain. Que demain soit mort avec le passé, mais que le futur soit vivant et actuel - ni préparé, ni travaillé, ni étudié pour demain. Donnez aujourd'hui le geste, l'action et la forme jeune. Le passé prélude le cauchemar d'aujourd'hui ; l'avenir - amère image - né de ce cauchemar. Aujourd'hui - même mort et enterré - seul vivant pour tout passé, tout présent et tout avenir, l'action future, le geste des jeunes.
Voilà la parole prophétique. Lisez-la bien, mettez-vous devant vos miroirs - de là sont nés les vieux, mettez-vous devant votre inspiration - de là et de là seulement est né le futur.
Dans ma jeunesse, tout le monde m'a enseigné d'être vieux, mais quarante-six années de la vie m'ont enseigné à être jeune. Tous les livres m'ont dit l'histoire des vols, des viols et des massacres, mais toutes les montagnes, les forêts et les mers m'ont dit la beauté. Tous les hommes m'ont dit le profit et l'intérêt, mais tous les coeurs m'ont dit l'amour. Toutes les villes m'ont crié les égoûts, l'esclavage et la prostitution, mais j'ai gratté sous mes pieds et j'ai trouvé la terre fraîche, vibrante et saine.
Je ne marche plus : je flotte. Je ne regarde plus : je vois. Je ne parle plus : je chante. Et vous, ô jeunes, je ne vous aime plus, j'en suis.

Paris, Décembre. 1920. Raymond Duncan.

In N° 2, janvier 1921 de L'Essor, revue littéraire mensuelle de jeunes
Directeur-fondateur : Pierre Créange.


Cet appel aux jeunes à faire table rase du passé suscita la réaction d'un rédacteur, Maurice-Level (lauréat de l'Académie Française), dans le numéro suivant de l'Essor, qui deux ans après la fin de la guerre, considérait que "la jeunesse qui vient, est une héritière, d'un héritage qu'elle n'a pas le droit de répudier, car il est le legs de milliers d'agonies acceptée pour elle. C'est parce qu'ils sont morts que notre jeunesse n'est pas un départ absolu, mais une continuation et une souvenance." A Duncan il répond " c'est un beau rêve, à tout le moins c'est un rêve ".



Raymond Duncan, son épouse et sa fille en 1912 (image empruntée à Agalma Agalmata)


2 commentaires:

cls a dit…

Je l'ai rencontré chez lui quelques fois, dans sa boutique (sais plus si c'était rue de Seine, rue Mazarine ou rue Dauphine, je l'ai ai toujours confondues) alors qu'il était un vieux monsieur à barbe blanche, à tunique grecque et à sandales spartiates. Un des personnages haut en couleurs (quoique blanc d'aspect, il était vert de comportement) de Saint-Germain-des-Prés. Me rajeunit pas, cette histoire...

zeb a dit…

Si mes renseignements sont exacts c'était rue de Seine. Ne croyez pas CLS lorsqu'il nous dit qu'il vieillit, il est "vert", lui aussi de "comportement".