dimanche 20 septembre 2009

A Marée montante de Jehan SARRAZIN



Peu de choses rares à se mettre sous la dent ces derniers temps. Ce qui n'empêche pas le blogueur dilettante de continuer à lire et notamment ses camarades en numérique. Il y a quelques jours, Grégory Haleux sur le blog de Cynthia 3000, vaillante maisonette d'édition, publiait un article sur Jehan Sarrazin, le poète aux olives. Ils sont rares les articles pleins d'informations, bourrés de références, farcis d'inédites citations, il faut donc les saluer et les lire.

L'occasion de faire écho à ce bel article ne s'est pas fait attendre. Un bienheureux hasard, m'a permis de mettre la main sur une plaquette de Sarrazin, A Marée montante, publiée en 1894, chez Jehan Sarrazin éditeur, composée de proses gentiments libertines et de vers patriotiques et amoureux.

Je ne reproduirai pas ici les poèmes consacrés à célébrer l'alliance franco-russe leur préférant, tout de même, la mignonne perversion d'une Petite Marquise.


La Petite marquise



Lorsque je vins la chercher, comme il avait été convenu pour aller à la campagne, la petite marquise était toute songeuse. Elle faisait une si drôle de jolie petite moue que je pus m'empêcher de rire en l'embrassant.
- Eh bien, chère, qu'est-ce que vous avez donc ce matin ? Est-ce encore cette vilaine idée de vous teindre en rousse comme une cocotte, qui vous trotte par la cervelle ?
- C'est bien plus sérieux que ça, répondit-elle ; je ne sais pas quelle robe mettre aujourd'hui. J'ai là plus de vingt costumes qui m'attendent, et je ne sais lequel choisir... je suis désolée...
- Il fait un temps délicieux ; mettez donc votre robe de surah mauve, celle que vous aimez tant...
- Oh ! Non, c'est trop clair.
Après deux ou trois autres propositions repoussées, je ne savais plus que dire, lorsque, tout à coup, elle se lève radieuse :
- Ah ! Fit-elle en riant, j'ai une fameuse idée ! Et elle disparut.
J'allumais une cigarette et me mis au balcon pour savourer l'air pur et le soleil nouveau. J'étais-là depuis cinq minutes à peine, lorsque j'entendis la voix de la marquise qui m 'appelait. Je me retournai, mais jugez de ma surprise : elle avait mis le costume de Fanchette, sa femme de chambre. Ah ! La charmante petite folle, la délicieuse soubrette.
Le bonnet blanc à rubans lui allait à ravir et jamais tablier de camériste n'avait été plus crânement porté.
- Eh ! Bien, me dit-elle, vous y êtes, partons. Je n'ai pas fait atteler le coupé ;... nous prendrons le tramway, voulez-vous ... Ce sera cent fois plus drôle.
Dans la rue elle acheta une fleurette de deux sous qu'elle mit à son corsage, et nous prîmes l'impériale, selon son désir. La marquise bavardait comme une perruche ; je ne l'avais jamais vue si spirituelle ni si gaie.
Lorsque nous fûmes à St-Ouen, elle voulut absolument déjeûner dans une guinguette et manger des pommes de terre frites, puis elle me demanda, comme une grâce, de la conduire aux balançoires.
La journée se passa ainsi le plus joyeusement du monde, et, dois-je l'avouer, lorsque nous eûmes dîné... la petite marquise était grise.
Elle voulut absolument coucher extra-muros et, certes, je n'eus pas à m'en plaindre, car jamais, parmi le luxe de son nid charmant, elle n'avait été aussi exquisement câline, aussi tendre, aussi passionnée.
Le lendemain, je la reconduisis jusque chez elle, où elle rentra mystérieusement, un grand fichu sur la tête.
- Personne ?
- Non.
- On ne me voit pas ?
- Non... soyez sans crainte.
- Adieu.
- A ce soir ?
- A ce soir...
Mais le soir venu, quand je me présentait chez elle, avide de nouvelles tendresses, je trouvais la marquise vêtue de noir, coiffée comme une bourgeoise, hautaine et fière.
Oh ! Fit-elle avec un petit air méchant et froid, il est inutile d'insister, monsieur, vous pouvez vous retirer, je ne me commettrai jamais avec un homme qui débauche mes femmes de chambres ! ............................................................................................................

Là-dessus, elle entra dans son boudoir et ferma la porte à double tour.






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