jeudi 25 janvier 2007

Nouvelles du Caire 1920 Renée Dunan Dadaiste


Un article de Renée Dunan sur Dada

La Vie Nouvelle Revue Mensuelle de Littérature et d'Art
N°1 décembre 1920


Assassinons l'intelligence et l'esthétique
si nous voulons comprendre la beauté.


Le "Dadaïsme" n'est pas né de quelque théorie esthétique poussée jusqu'à ses ultimes conséquences comme le Futurisme. Il n'est pas sorti d'une transformation des concepts esthétiques comme le Symbolisme. Non plus d'un besoin de renouvellement dans la plastique verbale selon la formule des Cubistes purs comme Reverdy, des Nunistes comme Pierre -Albert Birot ou des Ontoïstes comme Roch grey. Dada est né hors le temps et l'espace, dans le pur abstrait. Ce n'est une métaphysique. C'est plus que cela, c'est une "hypopsychie".
Je m'explique : Que ce soit grâce à une lente évolution des substrats psychiques ou par quelque disposition peu à peu améliorée de la substance grise, les interprétations philosophiques du monde se précisent peu à peu, se détaillent, se fragmentent et se compliquent par le sens perpétuel de la divisibilité à l'infini. Rosny a pu dire que "la science ne résout pas, mais crée le mystère". C'est ainsi que les études psychologiques basées sur la vésanie, tant dans la fameuse école de Nancy qu'à Zurich, ont abouti à concevoir l'âme humaine comme beaucoup plus souvent et puissamment "impulsée" par son inconscient que par son conscient. L'étude de l'inconscient refoulé par une sorte de contrôle au seuil du conscient est actuellement le grand dada des psychoanalystes.
Or, le premier lien qui disparaisse avec la conscience est le "lien logique" et les idées venues de cet arrière-moi qui franchissent le seuil conscient se caractérisent par "l'association-libre". L'association libre ne doit pas échapper pourtant à la possibilité d'une définition intrinsèque, mais la loi n'en a pas encore été trouvé avec certitude. Ici apparaît la règle qui dominera le "dadaïsme" : pas de logique, pas de rationalité. C'est hors le principe de raison que la Vérité Dada naîtra et c'est hors les lois causales que l'esthétique Dada donnera de la beauté.
Il est un peu délicat de prétendre donner l'arbre généalogique d'une forme d'art. Comme le dit Pierre Benoit dans son "Atlantide" et, naturellement pour tout autre sujet, "dans la vie, il n'y a pas de séparation des genres". Tout se compénètre et se confond. Hegel avait déjà osé dire : "Tout est identique". Je ne crois donc pas plus synthétiser le mouvement Dada dans quelques affirmations qu'il ne me parait possible de fixer les limites du Dadaïsme. La vérité est en ceci qu'un concept métaphysique issu des limites du moi conscient mais "plus ou moins clairement élucidé" quoique décelé par l'analyse, sert de base à l'activité physique et très consciente de jeunes gens dont la plupart n'ont avec leur idée directrice aucun contact certain et intellectuel. Un magnétisme collectif s'exerce, qui passe par des maxima et des minima et se cantonne dans le subconscient. Les Dadaïstes, à la façon de réactifs chimiques se corrodent ou se dissolvent entre eux dans le contact quotidien des idées, des mots et des impulsions mentales.
Le mouvement subira des hauts et des bas, il se transformera, changera de nom, semblera peut-être disparaître, mais en réalité il est destiné à absorber toute la pensée et toute la littérature moderne et je vois déjà une activité parallèle dans cette fameuse théorie renouée de la Gravitation Universelle, qui nous vient d'Allemagne, et qui repose sur cette idée : "la ligne droite est non seulement irréalisable en fait, mais un concept absurde et antinomique." La ligne courbe serait ainsi la seule qui corresponde à la logique de l'esprit. Et je vois revenir derrière cette idée le vieux serpent qui se mord la queue des alchimistes ou la mystérieuse liaison entre les mots Sémitiques primitifs qui signifient la sphère et la sagesse.
Mais ceci va bien loin. Le Dadaïsme naît. Il en est à la période des ruades, des cabrioles et des rigolades. rien en lui ne décèle rigoureusement son avenir. Je n'en crois pas moins à son importance décisive, tant en art qu'en philosophie, voir même en économie politique (un jour). Pour le moment, il donne des représentations catastrophiques et cocasses qui ne visent qu'à réaliser un absurde inédit et surprenant qui s'absente de la norme et échappe à l'usage. Le produit "stable" de la chimie intellectuelle qui prend le nom de "Dada" n'est pas encore reconnu. Il est hors de doute qu'il existe, mais comme Le Verrier établissant les coordonnées d'une planète mystérieuse, nous savons, nous percevons son influence sans pouvoir l'enclore dans une définition nette jusqu'ici.
Ses éléments nés de la réaction de l'inconscient sur le conscient sont la révolte. Révolte qui prend diverses formes, selon, les individus, révolte contre les faits d'ordre social et contre les faits d'ordre esthétique. Révolte avec besoin de briser des idoles, d'assassiner les vieux usages, de danser sur cette tradition qui soumet les vivants à la volonté morte des morts. Beaucoup disent qu'attaquer certaines choses c'est ébranler l'édifice de la civilisation, et peut-être même l'intelligence. Comme si le principe de la pensée n'échappait pas à toutes les écritures, à toutes les théories au cerveau même ? Comme si l'inconscient n'était pas l'âme même ? Comme si la civilisation de 1920 était plus délicate, plus raffinée, plus spirituelle que celle d'il y a trente siècles ? Comme si la crasse millénaire qui noie l'effigie des mots, des phrases, des idées, des sensations, de toute la sensibilité humaine n'avait pas besoin d'être décapée; comme si l'absurde et le paralogique n'étaient pas, possédant autant de contact que leurs contraires avec la réalité, des choses neuves, fraîches, "belles", vierges, et qui méritent notre hommage à leur tour.

Renée Dunan

In La Vie Nouvelle, N° 1, Décembre 1920, Pages 17 à 20.

Même sous la neige il est encore possible de faire de petites trouvailles. Cette fois c'est une revue, publiée en Egypte. Le titre de son article et le nom de Renée Dunan le premier, attire mon attention et Oh miracle il s'agit d'un article sur Dada, j'avais lu quelque part que Dunan se disait "Dadaïste de la première heure" mais la dame était plutôt pour moi l'auteur du Prix Lacombyne, sur les dessous des prix littéraires et notamment du Goncourt, de romans érotiques, naturistes, policiers et de science fiction. Journaliste elle collabora aux revues Projecteur, Action, Le Disque vert, Floréal, Images de Paris, ou Rives d’Azur, Le Sourire ou Le Crapouillot. Nous savons peu de chose sur la vie de Renée Dunan, elle semble être née en 1892, et sa mort fut annoncée en 1936, Il existe pourtant des lettres de son écriture datées de 1938, dans les années 40 un monsieur Georges Dunan se disait l'auteur des ouvrages de Renée Dunan. (Voir Histoires littéraires n° 2, avril-mai-juin 2000 Renée Dunan ou la femme démystifiée par Claudine Brécourt-Villars.) Pour en savoir plus sur Renée Dunan.

Description de la revue : La Vie Nouvelle, Le Caire, N° 1, décembre 1920, 20 X 14 cm, 48 pages, le premier plat est illustré d'un bois de Ludovic Rodo [Pissarro]. Publiée au Caire par Les Editions de La Librairie d'Art, Stravinos & Cie, Libraires éditeurs, 23, rue Kasr-el-Nil. Directeur E. Goldenberg-Cahen. Rédacteur en chef Pavos Stavrinos. Représentant pour la France, Joseph Rivière.
Sommaire de ce numéro : Propos liminaire par E. Goldenberg-Cahen, J'ose un conseil par Han Ryner, Samael (fragment) par André Spire, Ballade de ce printemps là par René-Marie Hermant, Des hommes par Fernand Leprette, Assassinons l'intelligence et l'esthétique si nous voulons comprendre la beauté par Renée Dunan, Le Retour - Corbeaux et Mouettes Marcel Loumaye, Lettres à des Egyptiennes sur la Littérature Française Contemporaine (1ère lettre) par Maurice Rocher, Notes par Joseph Rivière, La Percée de Jean Bernier par F. L. , Les Lettres néo-grecques par Panos Stavrinos.

Couverture illustrée d'un bois gravé de Ludovic Rodo Pissarro, pseudonyme de Ludovic Pissarro (1878-1952), fils de Camille. Peintre, aquarelliste et graveur.
Joseph Rivière, Fernand Leprette, Marcel Loumaye poète belge, liégeois même, si l'on en croit le poème Retour, collaborèrent à La Revue Littéraire des Primaires Les Humbles, où ils purent rencontrer Han Ryner. Rivière est le fondateur de Soi-Même revue à laquelle participa aussi l'auteur de L'Homme-Foumi. René-Marie Hermant lui, publia un recueil de poèmes, La traînaille : poémes, ballades et chansons de mauvaise vie aux éditions Les Humbles en 1919. Samael le poème biblique d'André Spire, inspiré par les colons juifs en Palestine, dont on trouve ici un fragment, paraitra en 1921 chez Crès.

dimanche 21 janvier 2007

RACHILDE BLOY BOLLERY


Ce week-end ayant été propice à une moisson de petits envois ornants des livres plus ou moins bien conservés, après l'envoi de Pierre-Quint à Alfred Vallette, celui de Bollery (sur Le Désespéré de Léon Bloy, S.F.E.L.T., Edgar Malfère, Les Grands Evénements littéraire, 1937) à la femme du fameux directeur du Mercure. Rachilde, écrivaine sulfureuse, auteure fin de siècle qualifiée de décadente, elle tint la rubrique Romans au Mercure de France durant des lustres. Dans son Salon, situé dans les locaux du Mercure, et se tenant le mardi, elle reçu tous les littérateurs des années 1890 à l'après guerre (la première). De son oeuvre qui s'étend des années 1880 au années d'après guerre (la seconde), on peut retenir Les Hors Nature, Monsieur Vénus, Le Mordu, Le Meneur de louves, La Tour d'Amour, elle mourra en 1953. Rachilde était Périgourdine comme l'auteur du Désespéré, avec son mari elle soutint longtemps Léon Bloy qui sans le Mercure de France aurait bien eu du mal à trouver un éditeur assez peu conformiste pour faire paraitre ses romans, essais et pamphlets. Caïn Marchenoir est le protagoniste du Désespéré, l'alter ego romanesque de Léon Bloy. On remarquera que Joseph Bollery fervent admirateur de Bloy, fondateur des Cahiers du même nom et auteur d'une indispensable biographie de l'auteur de La Femme pauvre, poussait l'admiration jusqu'à utiliser l'écriture presque calligraphique de Bloy.



Les Décadents
N’ont pas d’talent
Me dit-ont
Oh ! Que nenni !
Moi je dis !
Qu’ils ont du génie

Dans le fond
Car les plus épuisés
Se sont refaits
(Et nous refont)
Avec un flacon
De vin Mariani

C'est des vers libres

RACHILDE

Publicité pour le vin de coca Mariani, extrait des Figures de Contemporains.

Léon Pierre-Quint Lautréamont Gourmont Vallette





Un envoi de Léon Pierre-Quint à Alfred Vallette sur Le Comte de Lautréamont et Dieu, Les Cahiers du Sud, Marseille, Collection Critique N° 8, 1929, retient notre attention aujourd'hui.

De quoi s'agit-il ? Dans cet envoi adressé au fondateur et directeur du Mercure de France, Pierre-Quint souligne l'importance de Remy de Gourmont dans la découverte de Lautréamont. Gourmont bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale après avoir eu connaissance des Chants de Maldoror, découvrit et fit connaître Les Poésies d'Isidore Ducasse. De son poste avancé de critique littéraire au Mercure il fut l'un des premiers après Léon Bloy et son Cabanon de Prométhée, publié en 1890, à écrire sur Lautréamont. En 1891 Gourmont signale les principales variantes des Chants et annonce l'existence des Poésies. Pour ceux qu'intéresse la bibliographie Maldororienne je ne peux que conseiller la lecture du livre de Maurice Saillet Les Inventeurs de Maldoror disponible aux Editions du Temps qu'il fait.

Mais revenons à Pierre-Quint, dans sa préface il signale que le projet du livre vient d'une relecture avec un ami, lors d'un séjour à Berck, des Chants de Maldoror, cet ami la dédicace du livre nous en révèle le nom, il s'agit de Roger Gilbert-Lecomte. Je ne peux résister à retranscrire ici le portrait que Pierre-Quint fait du créateur du Grand Jeu.

"Un de mes amis, fervent adorateur des chants, m'en récita les pages les plus éloquentes. Parfois, il se laissait aller aux transports de cette ivresse verbale et répondait par des trépignements aux hurlements sacrés du poète. Quoi qu'on en pense, c'est une manière de concevoir la critique aussi légitime qu'une autre."

Le trépignement comme jugement littéraire... Depuis combien de temps n'avez-vous pas trépigné à la lecture d'un livre ? Pour ma part, j'adorerais trépigner plus souvent.


Léon Pierre-Quint sur Livrenblog : Une lettre.