jeudi 25 février 2010

VERLAINE, VEIDAUX, MARCOTTE... dans L'ŒIL BLEU





L'ŒIL BLEU, N° 10

Toujours de l'inédit, du rare, du surprenant, dans la revue L'Œil bleu.
Son dixième numéro s'ouvre sur six poèmes de Bernard Marcotte, l'un des fondateurs de la revue La Foire aux Chimères, dont la bibliographie est donnée en fin de volume. Sur Bernard Marcotte, poète, conteur et philosophe on trouvera les souvenirs inédits de son ami Paul Tuffrau.
On connait André Veidaux, comme collaborateur de la revue La Plume, et notamment comme celui qui élabora le numéro du 1er mai 1893, consacré à l'anarchie, de cette revue. Paul Schneebell, avec la première partie d'une longue étude biographique et bibliographiques sur Veidaux, nous fait découvrir l'étendue de l'œuvre de cet écrivain libertaire et dans un texte complémentaire détaille la préparation du numéro spécial de La Plume.
Henri Bordillon dans les trois premiers numéros de l'Œil bleu, avait donné le Pavillon du Ratodrome, une étude sous forme d'abécédaire sur les liens entre Gustave Le Rouge et Blaise Cendrars, il revient ici, avec une note intitulée Marthe la Bohémienne, sur le personnage de Marthe, femme de Gustave Le Rouge dans l'Homme Foudroyé, et sur une source possible du texte de Cendrars.
Inlassable chercheur Michael Pakenham, a dans La France Moderne, découvert une version inconnue de Souvenirs d'hôpital de Verlaine, intitulée Mes Hospices. Il donne ici les deux versions, richement annotées.

Rappelons que L'Œil bleu est tiré à 150 exemplaires, que l'on commande auprès de Nicolas Leroux, 59 rue de la Chine, Paris XXe. Courriel : associationoeilbleu@yahoo.fr le numéro coûtant 12 euros, l'abonnement pour 4 numéros, 44 euros. Un bon de commande se trouve ici, les sommaires des numéros précédents, , chez nos amis Amateurs de Remy de Gourmont

L'Œil bleu sur Livrenblog : L'Oeil Bleu N° 5 - L'Oeil Bleu N° 6 - L'Abbaye de Créteil - Gustave Le Rouge - Verlaine... - L'Oeil Bleu N° 7. Tellier Retté Jarry Le Rouge - L'Oeil Bleu N° 8. - L'Oeil Bleu, N°9 - L'Oeil Bleu, N° 10. - L'Oeil Bleu N° 11.


mercredi 24 février 2010

Le Chat Noir dans Le Nouvel Echo, Alcanter de Brahm au Chat Noir.



Dès le premier numéro du Nouvel Echo du 01 janvier 1892, dans la chronique Paris-Concert, signée Un Petit banc, il est fait mention du Chat Noir et d'Alcanter de Brahm. Les Chansons poilantes son recueil de chansons montmartroises écrites en collaboration avec Emile Straus sous le pseudonyme de Saint-Jean va bientôt paraître et, incidemment, Un Petit banc à propos du Moulin Rouge où Bob Walter, Mme Sarah Vallier chante les chansons de Xanrof et Meusy, signale le succès remporté par Alcanter au Chat Noir : « Mais à quand le tour de vogue de l'ami Alcanter dont tout le monde, cependant, à Montmartre, chez Salis senior (Cabaret du Chat Noir), sait par coeur les jolies chansons. Mais tout vient à point à qui sait attendre. » On le verra les collaborateurs du Nouvel Echo ne manquent jamais de signaler les activités de leurs confrères du journal.

Lorsque dans le numéro suivant, Saint Jean (Emile Straus), dans sa chronique A l'Orchestre, fait « un tour au Chat Noir », il regrette que les poètes nouveaux soient rares et n'omet pas de signaler les parodies de Paul Delmet dues à Alcanter.

Toujours foule dans la petite salle du Chat-Noir. Le Carnaval de Venise de Maur. Vaucaire est une agréable fantaisie. Rien de plus poétique que ce décor vénitien, effet de nuit, avec les gondoles illuminées glissant lentement au son des guitares et des vers mélodieux. Ailleurs, la revue symboliste de Maurice Donnay, moins heureuse peut-être, est une curieuse tentative à l'effet d'élever encore le genre du théâtre d'ombres. Car sous sa forme frivole le voyage du poète Terminus et de Voltaire a une haute portée philosophique. Le rire narquois de l'auteur soulève bien des mystères, flagelle bien des vices, fait entrevoir de nombreux avenirs. Le palais de la sociale est gros de menaces. Les ouvriers qui le construisent pourraient bien un jour retourner le marteau contre leur maître...

Contentons-nous d'applaudir à cette exquise fantaisie qui se déroule en des décors superbes. Rodolphe Salis, gouverneur de Naintré, fait grandement les choses. Mais quant aux poètes, ces messieurs ne sont guère prolifiques. Voilà deux ans qu'ils nous récitent les mêmes rengaines. Un peu de nouveau semblerait cependant bien indiqué, car le public finira par se lasser d'entendre toujours ressasser les mêmes vers et les mêmes chansons. Il n'y a guère à signaler que Paul Delmet qui chante délicieusement les Petits Pavés et les Petits Chagrins, dont mon vieil ami Alcanter a fait les si amusantes parodies : les Petits Pâtés et les Petits Pots-de-vin. On demande du nouveau.

La chronique Paris-Concerts du N° 4 signée Un Petit banc, n'oublie pas son rédacteur en chef Alcanter de Brahm, tout en notant la présence de « sommités » Chat noiresques tels que Goudezki, Alphonse Allais ou Georges Auriol et des autre collaborateurs du Nouvel Echo présents ce jour là.

Ravissante soirée que cette première goguette du Chat-Noir, du dimanche 31, dans le manoir de Chat-Noirville. Très influenzé le Maître, point celui des Débats, mais de céans, qui a fait, en digne huissier audiencier, les honneurs de la soirée présidée par Jules Jouy, le père des chansonniers et l'oncle d'Alcanter par la voie du sapin.

L'Enterrement et le Déluge universel ont été l'objet de hourras frénétiques. Tollés et rires maigres ont accueilli une poésie dite par M. Petit Pierre ou Pierre Petit, et qu'on croit être de Jules Simon. Succès pour Henrion et ses Capucines, Paul Delmet et sa Chanson de rien, Damas, Cavallerio rusticano de Marie Krysinska, ou la perspective Newsky, pour Melchissédes ou Melqui dit sec dans le Rossignol de Pradels, pour Jacques Ferny dans l'Alibi, enfin pour notre Alcanter, dont l' étrangeté géniale des Croque-Morts aurait dérouté l'assistance la plus hostile. Il est vrai que l'œil du Maître...

Remarqué dans l'assistance : MM. Alphonse Allais, retour de Nice, si ému qu'il n'a rien pu dire ; G. Auriol, qui n'a pas l'oeil assez américain pour subtiliser les numéros du Nouvel Echo qui émergent des poches des pardessus, et à qui nous réservons une canne d'honneur ; l'excellent poète Goudezki, muet comme un sterlet ; Guéneau de Mussy fils, et père d'une bien belle barbe ; le très sympathique peintre Paul Robert, le sosie de Maupassant ; Me Bertrand, le fils du célèbre académicien qui a hérité de l'esprit de son père ainsi que d'une bien jolie cravate rouge. Enfin, parmi la rédaction, MM. Emile Straus (point d'appréciation, c'est mon directeur et la copie m'est payée) ; J. Belon, le charmant artiste, le maëstro de Sivry, et pour mémoire Rosita Rieti, madame de Rute et un cousin de Pierre Loti.


Le même Petit banc, dans le numéro suivant :

Comme toujours, charmantes de gaieté gauloise, les goguettes du Chat-Noir. A citer dans la dernière, l'excellent président Jules Jouy, dans ses Lamentations de J. Simon ; parmi nos collaborateurs : J. Belon, dans le capitaine Pamphile ; Alcanter et son Ministère naturaliste, tout d'actualité. Noté aussi Irma Perrot, qui détaille à ravir Villon, le père des goguettes, auquel Gustave Guillemet a dédié une excellente poésie. M. Paul Delmet, dans son Mendiant, dont la musique est remplie d'une enveloppante poésie et charme l'oreille. Un bravo à Rodolphe Salis, qui, avec son joli costume de l'ancienne Suisse, est capable de nous faire prendre l'Helvétie pour des lanternes.


Dans le N° 7 du 1er avril 1892, Alcanter de Brahm qui signe la Chronique Parisienne de son vrai nom Marcel Bernhardt, fait visiter le Chat Noir par Colombine, femme à barbe. Curieuse elle pense trouver là le monde étrange de la bohème artistique, poètes débraillés et hirsutes aux mœurs bizarres. Elle ne verra que gens chics et prix de Rome, et si par hasard on aperçoit au Chat Noir un misérable au teint blafard ce ne peut être qu'un simple machiniste. Moralité la bohème n'existe plus à Paris. On remarquera l'acharnement de Marcel Bernhardt/Alcanter, contre la poétesse Marie Krysinska et le clan des femmes auteurs, dont il voudrait être le « fossoyeur », d'accord en cela avec son ami Emile Straus, qui dans les colonnes du même journal ouvrit les hostilités contre la littérature féminine.

Colombine, s'étant aventurée l'autre soir sur les hauteurs de Montmartre, libre de toute première, se mit dans la tête de venir jeter un coup d'oeil au Chat Noir, pour observer les dessous de la bohème artistique et galante, comme elle le disait à ses compagnes désireuses, comme elle, de satisfaire leur espiègle curiosité. Bien cachée derrière son éventail, qui dissimulait à merveille sa barbe admirablement fournie (en effet, Colombine, ne vous déplaise, est femme à barbe), elle pénétra discrètement dans un coin de la grande salle, et observa. Je vais voir ici, pensait-elle, tout ce petit monde que l'on m'a dépeint si bizarre dans ses moeurs, ses goûts et ses amours. Quel régal pour moi, que cette bohème artistique !

Mais, première déception, le maître de l'établissement, fort digne, au port gentilhommesque, figure franche et ouverte, animée d'un regard enlaçant et sympathique au premier chef, s'approcha de Colombine avec une galanterie plus que régence et lui tourna un madrigal d'un genre à elle inconnu, et dont elle eut peine à se remettre. Colombine s'était troublée. Car le maître de l'endroit avait l'oeil fin, et vite il avait deviné l'influente personne en les mains de qui s'évanouirent tant de brillantes espérances de jeunes : « Qu'on serve en des hanaps du plus pur baccarat la cervoise que désire cette gente dame. Allons, Juvénal, vite, obéissez et soyez digne. » Juvénal, c'était le Pingard de cette nouvelle Académie, plus jeune, et qui, moins que secrétaire cependant, avait endossé le frac à palmes vertes.

Puis défilèrent successivement, avec des allures tour à tour pressées ou désoeuvrées, inquiètes ou folichonnes, pensives ou fredonnantes, quantité de personnalités qu'un habitué de l'endroit ; fort empressé, désignait à Colombine.

Mais tout à coup, comme revenant d'un songe :

- Monsieur, dit-elle à son cicérone, je croyais voir ici des gens qu'un sort fatal avait réduit aux dures nécessités matérielles, et qui venaient chercher en ces lieux quelques-unes des dernières consolations de l'humanité souffrante.

- Détrompez-vous, madame, ce temple des arts abrite parfois des gens d'une aisance rare. Ah ! L'habit ne fait pas le moine, allez ; voyez vous-même. Tenez, ce coin de droite où se tiennent quatre jeunes gens à l'aspect sévère et réfléchi, que l'on croirait être chacun un quart d'agent de change ; eh bien ! Vous avez là la pépinière artistique de Montmartre et du boulevard, ni plus ni moins que Steinlen, Willette, Belon et Lunel. Cela vous étonne, n'est-ce pas ? Et là-bas dans cette petite salle, où l'on assaisonne un plantureux souper de traits d'esprit du plus pur modernisme, ces messieurs en habit, ce sont les fournisseurs habituels du théâtre d'ombres, où tout Paris s'est rencontré. Oui, le séduisant Donnay, que vous devriez mieux connaître, madame, soit dit sans vous offenser, puisque vous avez de proches parents au Figaro. A côté de lui, Fragerolles, de Sivry, Charpentier, Vidal, des prix de Rome, pas banals pour un sequin, le joyeux chansonnier Jules Jouy, le peintre Paul Robert si élégant et si joli garçon.

Parmi ceux qui sont passés il y a un instant et qui vous ont saluée avec déférence, car ils sont bien élevés, ces messieurs que vous disiez de la bohème, vous en avez remarqué sans doute quelques-uns dont une toilette recherchée causait un moindre souci ; mais ceux-là, en général, sont des anciens, et vous n'ignorez pas que, pour eux, la plume ou le crayon sont du meilleur rapport. Les uns, comme Allais et Delcourt, chroniquent au Gil et ailleurs ; les autres se font éditer, chose de plus en plus rare ; mais, dans tout ce monde, une immense majorité de chapeaux haute-forme luisants et à bords relevés. Les bords plats sont ceux des derniers dissidents : ci, Gégout qui disserte sur la dynamite avec le major Pelez ; ci, le grand Alcanter de Brahm qui darde son monocle éclatant sur le petit clan des femmes-auteurs, présidé par madame Krynsinska, qu'il déclare être (le clan, bien entendu) la plaie de notre littérature et dont il s'est proclamé le fossoyeur. Poètes, peintres, sculpteurs, musiciens et docteurs, tous gens chics. Il y en a bien par là deux ou trois, à l'air misérable et au teint plombé, qui se sont glissés furtivement, comme de petits mandrins, dans les coulisses ; mais rassurez-vous, ce n'étaient que de simples machinistes, pauvres diables vivant au jour le jour et qui seraient, eux, réellement malheureux si un cataclysme imprévu venait changer un iota à l'ordre actuel des choses.

Vous savez tout, madame, maintenant. Quand, par hasard, vous apprendrez qu'une redingote râpée s'est adossée contre le vieux chêne des boiseries de Chatnoirville, vous pourrez dire hautement : « Celui-là était réprouvé, et ce palais n'était point sa demeure. »

Colombine ne revenait pas de son étonnement. Elle monta lentement avec ses compagnes jusqu'au cabaret du Mirliton, où là, du moins, elle espérait un peu plus de couleur locale. Mais, ô surprise ! C'était un vendredi, et les voyous qui venaient là payaient cent sous leurs bocks. Deux ou trois, il est vrai, avaient bien le physique de l'emploi ; mais un minutieux examen de leurs gestes prouvait clairement que c'étaient de simples romains.

- Cependant, les autres jours, demanda—t-elle au patron de l'endroit, ces gens que vous chantez avec tant d'onction et de pitié, monsieur, ne viennent-ils pas vous écouter et vous applaudir ?

- Mince de tiffes, ma vieille, c'que t'es en retard, répond le cabaretier insolemment ; où c'est qu'ils chaufferaient le blafard et les cinq pelos pour casquer, mes galopins ? Dans les temps, soit, ça f'sait mon blot, mais, au jor d'aujoerd'hui, nib de blair et peau de zébi.

Là-dessus, il a entonné une chanson assez sale, sur le bois de Boulogne je crois, et tous ces gens chics, qu'on pouvait voir aux Acacias le lendemain, ont répété le refrain.

C'en était trop pour Colombine. Furieuse, elle quitta ce cabaret de désillusions, et convint alors que la bohème n'existait plus à Paris. Elle en exprima même de légers regrets ; mais elle ne pense pas une seule minute que c'était elle et trois ou quatre de ses vieux camarades du Figaro qui l'avaient tuée.

On trouve encore dans les échos du numéro 9 un entrefilet qui signale qu' « au Chat Noir Alcanter avec la Marche des Calicots et la Noce (dédiée à Jules Jouy) est rappelé 3 fois », puis plus rien sur le Chat Noir et la collaboration d'Alcanter, jusqu'aux numéros 23 où Alcanter de Brahm consacre sa Chronique Parisienne aux Cénacles et Caboulots (I. - Rive droite).

Après un rapide historique des lices chansonnières et autre goguettes, il en arrive aux Hydropathes d'Emile Goudeau, puis à Rodolphe Salis et son célébrissime Chat Noir. La lecture chroniques précédentes du Nouvel Echo, pouvait faire croire qu'Alcanter fit parti de la « troupe » du Chat Noir, en y regardant de plus près sa collaboration au cabaret semble s'être limité à participer aux « Goguettes » du dimanche, sous la direction de Jules Jouy. Dépit de ne pas avoir intégré l'équipe de chansonnier, ou fine analyse, sa chronique n'est pas tendre pour le Chat Noir et ses artistes.

[...] le quartier latin paraissant dégénérer de jour en jour.

« Or, précisément, Rodolphe Salis ouvrait alors le Chat Noir, boulevard Rochechouart. Naïvement, le bon Goudeau lui amena toute sa brillante académie, se désintéressant ainsi de tous les bénéfices possibles de l'entreprise, et avec cet inestimable noyau littéraire, Salis, l'ancien sut épater les peuples : le Chat Noir, grandissant chaque jour, s'installait quelques années après dans la pittoresque hôtellerie de la rue de Laval, aujourd'hui Victor Massé, tandis que Bruant, prenant pour son compte exclusif l'ancien local, en faisait le Mirliton, d'où émergèrent la chanson du ruisseau et le coup de la pitié, et, finalement, les bocks à cent sous du vendredi, à l'usage des pantes et des gonzesses de la haute.

Mais il en advint du Chat Noir comme de ces grands empires que leurs fondateurs songent à partager entre leurs successeurs avant leur mort.

Une innovation heureuse, les Ombres Chinoises, lancées par Caran d'Ache dans l'inoubliable Epopée, puis continuées par Fragerolles avec la délicieuse Marche à l'Etoile, si péniblement chantée, dans la suite, par Delmet, démarqueur des Erinnyes pour jeunes filles (voir les Petits Pavés) ; un journal humoristique au possible, mais que l'intromission de quelques échappés de collège fit tomber depuis dans le genre hypo-pompier ; un cabaret-musée où des vitraux et des toiles superbes de Willette côtoyaient de charmantes études de Steinlen ou de Capy, cependant que tout ce que Paris comptait de célébrités politiques, artistiques ou mondaines se pressait à l'envi ; tous ces éléments portèrent Salis au pinacle de la gloire en moins de dix années.

Et monté sur le faîte, il n'eut plus qu'à descendre.

Et ce patron, si autoritaire avec son personnel d'auteurs, de dessinateurs et de musiciens, qui avait parlé en maître à Jules Jouy, à de Sivry, à cet entêté d'Auriol, et qui faisait d'endosser à ses garçons l'uniforme de M. Camille Doucet et de ses trente-neuf collègues, sentit tout à coup, il y a de cela tantôt deux ans, que la renommée et la fortune pourraient peut-être bien lui échapper. Alors, il confia à ses trois lieutenants la direction des grandes spécialités de sa maison. Jules Jouy réglementa la chanson, de Sivry la musique, et Bazouge-Rivière le dessin et les ombres. Sauf une excessive tendance vers l'exclusivisme, il n'y avait rien à dire. Les résultats parleraient bien assez. Seulement, ce changement amena quelques exécutions dans le personnel des auteurs et des artistes. Rivière ; que le succès de Fragerolles avait grisé, ne voulait plus tolérer aucun rival aux Ombres. Jamais le malheureux Lacault ne put faire passer un pauvre croquis au journal. Willette et Steinlen ne venaient plus depuis longtemps, car ils flairaient un triste lendemain. Mais ce qui fut beaucoup plus drôle, fut la disparition subite de quelques jeunes de talent, Montoja (sic pour Montoya) et Guillaumet entre autres, qui, sans doute, auraient trop facilement éclipsé le très mince mérite des Armand Masson, des Delmet et de bas-bleus du calibre de Marie Kryzinska, ce masque carnavalesque aux lueurs blafardes, qui semblait échappé des caves de quelques brasseries des Ecoles en passant par la Petite Pologne, Jules Jouy, se souciant beaucoup plus d'annoncer son manillon de trèfle que d'amuser le public, se collait dans la salle du fond avec Allais ou Charpentier (voir la Vie du Poète), et n'en bougeant plus jusqu'à une heure du matin, heure de la soupe économique du Chat Noir.

Bientôt, dans leur enthousiasme à ne laisser pénétrer personne dans leur chapelle, ils ne restèrent plus que quatre là haut, pour calmer le public qui s'impatientait ; seulement, leur répertoire ne variait pas beaucoup. C'étaient toujours les Petits Pâtés, les petits Chats bruns, puis Armand Masson, le poète au collet gris poussière des Cloches à Romes, Vincent Hyspa et son toenia, ce pauvre Trimouillat à son septième ; puis Jacques Ferny l'Alibi et les Voyages présidentiels, la seule chose vraiment amusante qu'on y eût applaudie depuis quatre ans, Meusy et Xanrof y compris, bien entendu (et la preuve, c'est que le premier court après la gloire, au Concert des Ternes, et que le second essaie en vain son impuissante rage d'écrire contre les tréteaux du père Micheau, grâce à l'acide Tarride).

Ailleurs, pièce symboliste de Donnay, resta incomprise ; le Carnaval de Venise fut un four, et le château de Naintré coûtait cher. Les bocks des goguettes du dimanche, inaugurées en janvier 1892 (un peu tard, on le voit), ne compensaient pas les frais, et les équipages de luxe ne stationnaient plus à la porte. Bruant, d'une part, et la Plume, de l'autre, minaient la maison par la base ; le temps de Boulanger, honorant le seigneur de Chat Noirville de sa visite, n'était plus. Il fallait en venir fatalement aux tournées de province. Elles durent encore, bien que nous soyons au début de décembre, époque généralement peu néfaste aux théâtres originaux. C'est dire qu'avant un an le Chat Noir sera désert et que ses tristes épaves erreront çà et là dans les rues de Montmartre, dans les cafés du boulevard, cherchant un asile contre la vieillesse prématurée, fatale conséquence de la vie des cénacles et des chapelles littéraires.

Mais l'influence du Chat Noir n'en aura pas moins été réelle sur l'esprit de la jeunesse. Des tendances satiriques ou macabres, primesautières et cocasses, une allure gouailleuse et montmartroise plus encore que parisienne, ont consacré à jamais ce local, d'où sont perpétrés les vingt ou trente cénaculets que nous verrons par la suite.


Dans la seconde partie de son article, parue dans le numéro suivant, Marcel Bernhardt/Alcanter continue par le cabaret le Mirliton d'Aristide Bruant, mais ceci est une autre histoire.




dimanche 21 février 2010

LAUTRÉAMONT. Une étonnante Pléiade




Les spécialistes d'Isidore Ducasse ne manquent pas, leurs recherches sont connues et publiées régulièrement dans les Cahiers Lautréamont, actes de Colloques et autre publications. Ainsi lorsque Gallimard annonça la publication d'une nouvelle édition, dans la Pléiade, des Œuvres complètes de Lautréamont, annotées par J.-L. Steinmetz, je m'étonnais de ne pas voir convoquer pour un tel travail, la fine fleur des chercheurs en histoire littéraire, en genèse textuelle, enfin tous ceux qui depuis des années recherchent les sources des textes maldororiens, tentent de découvrir des éléments biographiques, se penchent sur la réception de l'œuvre tant en France qu'à l'étranger (Jean-Jacques Lefrère, Michel Pierssens, Jean-Pierre Lassalle, Éric Nicolas, Sylvain-Christian David, Jean-Paul Goujon...). Non, la Pléiade, était confiée à un seul homme...

Le livre est sorti, présenté en grande pompe par le pape du marketing littéraire, Philippe Sollers lui-même. La Pléiade, fleuron culturel du groupe Gallimard, quasi institution, ne sera pas critiquée par la presse, les médias relaient l'information et les commentaires ne sont que laudateurs.

Pourtant cette publication pose de nombreux problèmes, et Jean-Jacques Lefrère, collaborateur régulier de la Quinzaine littéraire, propose à celle-ci un article très critique envers J.-L. Steinmetz et son travail. La Quinzaine littéraire refuse la publication du papier ! Heureusement l'Express, sur son site nous le donne dans son intégralité. Lautréamont en Pléiade, le rendez-vous manqué, nous semble soulever des questions d'importances, faut-il qu'une publication comme la Pléiade soit le résultat des recherches et des choix d'un seul homme, avec ses aprioris, ses préjugés, sa vision de l'œuvre ? Ne devrait-elle pas être plutôt la synthèse des différents travaux recherches laissant plus de place aux différentes sensibilités ? Le choix d'une équipe de chercheurs éviterait que le "compilateur", que devient nécessairement l'annotateur désireux de présenter les informations nouvelles trouvaient par d'autres, ne se voit confondu avec un simple pilleur. On pourrait croire revenue, avec cette polémique, la vieille querelle entre structuralistes et "biographistes", pourtant au vu des emprunts fait par J.-L. Steinmetz aux éléments biographiques, le champ de la bataille se déplace et ce sont plutôt ses "oublis" et ses références tronquées, ses notices négligées ("Léon Bloy, journaliste catholique"), qui posent problème.

Et si tout cela n'était qu'une question de marketing ?



Maldoror, le site.

Je profite de ce billet pour signaler que l'excellent volume de Maurice Saillet, Les Inventeurs de Maldoror, est toujours disponible aux éditions Le Temps qu'il fait, et pour bien sur conseiller la biographie d'Isidore Ducasse par Jean-Jacques Lefrère, parue chez Fayard en 1998.


vendredi 19 février 2010

Le Blog de Bernard VASSOR : Autour du Père Tanguy


Autour du Père Tanguy
Activités de l'association "Autour du Père Tanguy"


Autour du Père Tanguy est une association mais aussi un blog qui veut "être le lien entre différentes sociétés savantes ou associations culturelles.
Faire revivre, par des visites de lieux, conférences, et publications, les acteurs, artistes peintres, poètes, écrivains, musiciens, critiques d'Art, tout ce qui faisait la vie de la rue Clauzel et du village de Montmartre, par exemple : Renoir, Pissarro Monet, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Degas, Manet, Denis et Émile Bernard Zola, Goncourt, Maupassant."

L'historien Bernard Vassor, rédacteur du blog, y fait en effet revivre des lieux de Montmartre ou d'ailleurs où se réunissaient les cénacles artistiques et littéraires, cafés, restaurants et cabarets, comme le Rat Mort, l'Hippodrome, la Nouvelle Athènes, le Carillon ou les Quat'Z'Arts. Les bals et café-concerts, les amis de Vincent Van Gogh, les Impressionnistes et Symbolistes, des annonces d'événements et études littéraires, l'histoire de Paris... on trouvera tout cela et bien d'autres choses dans ce blog de passionné.

On sait que j'aime à lier les articles que je publie ici avec ceux d'autres articles trouvés au hasard du web et traitant des mêmes sujets, un bon moyen de compléter des informations, d'échanger et des signaler des initiatives.

On trouvera de nombreux sujets communs entre Livrenblog et Autour du Père Tanguy, un seul exemple Harry Alis et son duel tragique est parfaitement complété par un article récent de Bernard Vassor sur Harry Alis au bal-restaurant du Moulin Rouge, sur l'île de la Grande-Jatte.

WILLY : Quand les Violons sont partis d'Edouard DUBUS


Pour Remy de Gourmont.


Droite en son vêtement d'impassibilité,

Elle évoque la majesté mélancolique

D'une sainte, au long corps rigidement sculpté

Dans un portail de cathédrale catholique.


Mais son âme est un soir d'été pourpre d'éclairs,

Retentissant d'un vent d'épouvante, qui brise

Les fleurs falotes et les hauts calices clairs

Épris de ciel limpide et de soupirs de brise.


Elle paraît ainsi bien Reine pour ces temps

Enveloppés de leur linceul de décadence,

Où toute Joie est travestie en Mort qui danse,


Et l'Amour en vieillard, dont les doigts mécontents,

Brodent, sans foi, sur une trame de mensonge

Des griffons prisonniers dans des palais de songe.


DUBUS (Édouard) : Quand les violons sont partis. Bibliothèque artistique et littéraire, 1892. petit in-12, broché, 110 pp., portrait de l'auteur en frontispice. 162 exemplaires numérotés dont 150 simili-hollande, et 12 Japon impérial.

Édouard Dubus (1863-1895) figure importante du Symbolisme, membre fondateur du Mercure de France, ne laissera que ce volume de vers, publié en 1892, ainsi que Les vrais Sous-off, réponse à M. Descaves, écrit en collaboration avec Georges Darien en 1890.

"Le 10 juin 1895, vers quatre heures de l'après-midi, fut trouvé aux latrines de la place Maubert le cadavre, gisant, d'un inconnu" c'est ainsi que commence la préface que Laurent Tailhade écrira pour la réédition des poésies d'Édouard Dubus, on y apprend que grâce à Jean Court collaborateur du Mercure de France et secrétaire de police dans le quartier, le corps sera identifié comme celui d'Édouard Dubus. On trouvera une seringue de Pravaz, et deux fioles vides dans sa poche, morphinomane et tuberculeux, Dubus expirera deux jours après son entrée à l'hôpital. "Par esprit d'imitation il buvait l'absinthe comme Verlaine, il s'injectait de la morphine comme Guaïta." (L. Tailhade). (1)

Sur un livre d'Edouard Dubus

Quand les Violons sont partis

I

Quand les violons sont partis

Cent violons mignons d'une grâce ancienne,

Vêtus de bleu, de rose et de noir plus souvent,

et qui jouaient

Des musiques de la couleur de leur costume.

M. Édouard Dubus, orfèvre symbolique et pieux, évoque en son âme de vrai poète leurs charmants concertos mélancoliques, note avec amour leur lieder évanouis qui tintent encore, prolonge la féérie du son, et pour la magicienne reine de ses rêves, sertit leurs folles notes d'amertume.

En maint joyau voilé d'ombre crépusculaire...

Ces seul vers résume mieux que toutes gloses la poétique de l'auteur, un quasi-parnassien doucement somptueux, à l'âme vague...

Ces violons en allés, violons fébriles de printemps ou violons alanguis d'automne, violes narquoises ou violes plaintives, - ce sont les petits mondes sonores que l'archet de Henri Heine ressuscitait pour la danse des passions ; ce sont les soupirs et les brises que le regret ou la chimère épandent vaguement parmi les feuillées du Jardin mort, non loin des petits dieux drapés de mousse, des Éros brisés, des Ruines gardant l'écho de la Romance ou du Madrigal, et qui reconduisent nos Baudelaires contemporains

Au temps joli qui vit fleurir la Pompadour...

L'illusion est ce qui ne meurt pas ; « chaque sourire évoque un songe du passé. » Et, dans la nuit des cœurs où palpite incertainement l'or rose ou l'or mourant des crépuscules, le hamac d'indolence des ternaires rhythme (sic) la subtile Pensée, cette Inassouvie toujours ivre d'Autrefois.

Ailleurs, nous remontons les siècles, notre existence brève contemple une Belle au bois dormant, « sa vie est un fleuve qui dort » ; nous suivons l'hiératique et muette fée

Droite en son vêtement d'impassibilité,

la chère Apparition des basiliques fumeuses et des soirs harmonieux, celle dont le chaste sourire anime les demi-ténèbres.

Mais qu'il célèbre la gloire symbolique des soleils blessés ou le mystère du Naufrage, ou la griserie des bals, ou le sang des Roses, l'excellent violoniste dont la maestria s'amuse aux Pantoums éblouissants, ne laisse pas que d'avoir le jeu très classique auprès des novateurs du vers polymorphe. Son alexandrin souple, libre et riche, reste fidèle au rite parnassien, alors même que la musique intérieure de ses souvenirs sonne étrangement, comme verlainienne et mallarmiste parfois.

Les concerts de M. Édouard Dubus – doux pastels où clament des notes d'or – prouvent que le groupe des coquets ménétriers n'est pas encore bien loin sur le chemin des rêves ; et le livre ouvert, le soir, sous la lampe, le lecteur séduit peut se donner les violons. C'est une suggestive musique de chambre, un peu flottante...

II

Si M. Édouard Dubus m'envoie ses témoins, vrai, ça m'étonnera.

Willy.

Nouvel Écho, N° 9, 1 mai 1892.

(1) Préface de Laurent Tailhade à Quand les violons sont partis. Vers Posthumes. œuvres poétiques complètes d'Édouard Dubus. Librairie Léon Vanier, A. Messein Succr., 1905.

Willy dans Livrenblog : Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner. Les Académisables : Willy. Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?. Le Chapeau de Willy par Georges Lecomte. Nos Musiciens par Willy et Brunelleschi. Nos Musiciens (suite) par Willy et Brunelleschi. Willy l'Ouvreuse & Lamoureux. Quand ils se battent : Willy et Julien Leclercq. Willy préface pour Solenière par Claudine. La Peur dans l'île. Catulle Mendès. Léo Trézenik et son journal Lutèce. En Bombe avec Willy. Willy Publicité littéraire. Coup de Filet par Les Veber's. Maîtresse d'Esthètes par Papyrus. Quand les Violons sont partis d'Edouard Dubus par Willy. Le Jardin Fleuri. R. de Seyssau par Henry Gauthier-Villars. Un envoi de Willy à Henri Louvion. Willy fait de la publicité.



jeudi 18 février 2010

Émile Straus... encore



Encore un article sur Émile Straus. On l'a vu, c'est parce qu'il écrivit dans la Critique des chroniques sur Alfred Jarry et le Théâtre des Pantins, sous le double pseudonyme de Papyrus et Martine, qu'il rédigea quelques articles sous les mêmes pseudos dans L'Omnibus de Corinthe et les Almanachs Georges Bans, qu'Émile Straus suscita mon intérêt. La lecture de quelques-unes des revues auxquelles il collabora m'a permis de découvrir un journaliste ambitieux, un littérateur un peu laborieux, pratiquant un naturalisme léger, croquis pris sur le vif de petits faits, un écrivain aux livres introuvables, à l'œuvre sans grande originalité, et dispersée en revues. L'originalité d'Émile Straus et plutôt à chercher dans ses articles signés Papyrus. Ceux-ci tranchent des nouvelles, chroniques et portraits qu'il publia sous son nom, par leur style faussement relâché, leur forme souvent dialogués, au vocabulaire farci d'expressions populaires, vieux français et néologismes. Un langage semblant inspiré autant de Rabelais que du « parlé Ubu » de Jarry. Le premier article en date signé Papyrus qu'il m'ait été permis de trouver est La Gazette du bibliophile parue dans le N° 9 du 15 au 31 octobre 1894 de la Revue de l'Est. Papyrus fait alors la promotion des volumes de la Bibliothèque des Modernes, Bibliothèque d'Art des Modernes, et Bibliothèque musicale des Modernes publiés par Victor de Champvans et la Revue de l'Est.

Dans les notes qui suivent ou complètent ce troisième article, on découvrira un peu plus de son parcours et de ses œuvres. Je reviendrait prochainement sur la revue La Critique, sur ses collaborateurs, et sur ceux de son « petit frère » : l'Omnibus de Corinthe.

Revue de l'Est, N° 5, 25 juillet 1894 :

Il serait peut-être un peu exagéré de répéter, comme l'affirmait spontanément notre confrère de la Revue Moderne [I] dans un élan de chaude sympathie, « qu'Émile Straus est une des physionomies les plus curieuses et les plus connues de notre génération » ; mais il ne serait point déplacé de constater que le jeune écrivain de ce nom est une des figures les plus intéressantes, les plus caractéristiques de ce temps. Et c'est déjà un bel hommage rendu à un caractère fait de sincérité , de probité et de loyauté littéraires, que cette constatation de franchise et d'honnêteté à une époque où notre société compte tant d'hommes de lettres, indignes de ce nom, portant en eux la tare du vice, le masque de l'hypocrisie, de la bassesse, de l'intrigue et de la méchanceté.

Or voici une nature droite, un esprit large, un studieux et un laborieux artiste. Comme tous ses pareils il passe silencieusement, méditatif et souriant à travers les réseaux étroits des groupements littéraires qu'il observe malicieusement et qu'il juge en connaisseur et en penseur.

Dire que Straus est un philosophe cuirassé, un sceptique endurci, un ironiste impénitent serait se tromper étrangement. Comme nous tous il a aimé, admiré, chanté le beau, le bon, le vrai ; comme nous tous il a subi l'emballement de la jeunesse, s'est jeté à corps perdu dans la mêlée : comme nous tous il a été déçu, désillusionné, trompé. Et ma foi je puis dire que s'il a reçu des horions, si son coeur sensible a saigné sous les piqûres d'épingles, si son âme simple de vaillant a connu les spasmes du dégoût, la douleurs des défections, il est sorti aguerri, triomphant de la lutte et c'est bien de lui qu'on peut dire :

Notre ami est un enfant de l'Alsace ; venu à Paris après l'annexion, il a rapporté de son cher pays les vertus natives et les solides qualités qui en font le confrère le plus aimable, le camarade le plus serviable qu'il soit possible de rencontrer.

Ses débuts littéraires datent de sa sortie de chez l'éditeur Charpentier dont il fut un des secrétaires. A ce moment il collaborait déjà au Journal de Colmar et au Journal d'Alsace où ses spirituelles chroniques le firent tout de suite remarquer.

Entre temps il fondait, avec un autre de nos collaborateurs, Alcanter de Brahm, le Nouvel Echo et bientôt l'on vit se grouper autour de ce vaillant périodiques toute une pléiade de jeunes écrivains et de jeunes artistes dont quelques-uns ont acquis aujourd'hui une belle réputation.

C'est ainsi qu'on pouvait rencontrer aux dîners mensuels qu'il organisa, nos confrères : Emile Goudeau, Willy, Ed. Haraucourt, Jacques Madeleine, Léo Trezenik, Alfred Duquet, Georges Rodenbach, Claude Couturier, Alcanter de Brahm, Emile Blémont de la Revue du Nord, les fidèles de la Revue Moderne : Ch. Bourget, Henry de Braisne, Arthur Bernède, Joseph Manin, Maurice Bouchet, Lucien Cortambert, André Lénéka, et les artistes dessinateurs Steinlen, Raffaéli, Léon Lebègue, G. Belon, Marcel Capy, Falco, Jacolot, etc.

Ces dîners s'appelaient les Dîners lacustres, parce qu'on n'y buvait que de l'eau distillée, additionnée d'un vin généreux et de divers crus.

On sait qu'en février 1893, le Nouvel Echo après diverses transformations et une brillante carrière qui fit crever de jalousie les trois Revues « qui ont la prétention de synthétiser la littérature et l'art d'aujourd'hui (2) » (lisez la Plume, le Mercure et l'Ermitage) fusionna avec la Revue du XXe siècle que nos lecteurs ont beaucoup connue, et qui à son tour a fusionné avec la Revue de l'Est dès l'apparition de notre premier numéro [II]. Straus y faisait la Chronique parisienne et c'était merveille que ce rayon de soleil qui étincelait et illuminait une prose colorée, un esprit fin et primesautier, servi par les mordantes ironies, les spirituelles saillies, dont il savait émailler ses tartines bi-mensuelles.

Et malgré ce labeur assez ingrat, malgré la préparation d'oeuvres nouvelles, malgré le soin apporté aux publications qu'il lançait de temps en temps, notre ami trouvait encore moyen de se dépenser, et combien copieusement, dans un nombre considérable de journaux et de revues dont les plus connus sont la Revue Moderne, la Chronique artistique, la Revue des journaux et des livres, Supplément du Petit Journal, Paris à table, Courrier français, Paris joyeux, le Moniteur de l'armée, sans oublier les journaux déjà cités, ce qui indique suffisamment, selon nous, l'admirable fécondité de l'écrivain, la passion et le goût des lettres, le choix et l'esprit critique de l'artiste.

On trouvera ci-dessous la nomenclature des œuvres et productions de notre aimable collaborateur. On verra qu'il mérite sa réputation de travailleur et de laborieux. Nos lecteurs liront en ce numéro un croquis inédit extrait de Croquis d'Alsace, une suite de quatre nouvelles qui vont paraître en septembre, et ils sauront apprécier par ce faible aperçu la manière de faire de notre confrère parisien. Il nous a d'ailleurs assuré de tout son concours ; nous savons qu'il saura tenir sa promesse et c'est pour nous une bonne fortune de pouvoir, parmi les illustres, les vaillants, les sincères, les fidèles littérateurs et artistes qui nous entourent, compter au nombre des meilleurs cet écrivain délicat, cet homme de cœur qui a nom Émile Straus, une des gloires futures de notre chère Alsace.


Victor de Champvans


(1) Émile Straus est né à Strasbourg le 24 décembre 1865. Il quitta cette ville après la guerre pour venir à Paris avec son père, alors fonctionnaire de l'Etat, et toute la famille. Il fit ses études à Chaptal et à sa sortie du collège, ses parents l'envoyèrent voyager en Allemagne et en Angleterre où il étudia les littératures étrangères. Ses premiers débuts littéraires dataient de 1890 [III]. Nous avons de lui outre d'innombrables articles de journaux, contes, nouvelles, chroniques, critiques. [Les ajouts entre-crochets sont de Livrenblog]

Les Chansons poilantes (en collaboration avec Alcanter) [sous le pseudonyme de Saint-Jean avec une préface de Willy, couverture illustrée par E. Gatget, 1894, on trouve dans le n° 8 du Nouvel Echo la préface de Willy, dans le n° 9 une annonce pour la seconde édition de ce volume, dans le N° 10 il est annoncé qu'il reste quelques exemplaires de la 1ère édition et qu'outre les 5 exemplaires sur Japon épuisé, il a été tiré 30 exemplaires sur Hollande à cinq francs, une première liste de 6 souscripteurs y est donnée]

Notes d'art : Léon Lebègue, dessinateur. [Dans le N° 2 du 1er au 15 juin 1894, de la Revue de l'Est on trouve une publicité : Bibliothèque de la « Revue de l'Est », dernières publications de ses collaborateurs : Emile Straus, vient de paraître : Léon Lebègue dessinateur, notes d'art contenant hors texte un portrait héliogravé, une eau forte, une pointe sèche, une lithographie, une aquarelle inédite et de nombreux dessins dans le texte, tirée à 100 ex. numérotés et paraphés dont : 10 exemplaires sur Japon impérial, prix 10 fr. (épuisés) et 90 ex. sur papier de luxe, à la Bibliothèque d'art des modernes, 32 rue Levert, Paris. Alors que dans le supplément au numéro 12 le tirage est annoncé comme ceci : 15 exemplaires sur Japon 10 fr. (épuisés), 85 exemplaires sur papier de luxe à 3 fr., un exemplaire unique sur Chine numérotée 00. Avec les originaux des planches hors texte 120 fr. la série des Notes d'Art continuera à la Bibliothèque de La Critique, quelques rares exemplaires sur papier de luxe du Léon Lebègue y seront mis en vente. Les autres titres de cette série sont : Notes d'Art : Marc Mouclier, peintre et lithographe. Une plaquette de luxe, rares Japon, rares papier luxe. Notes d'Art : E. Couturier, dessinateur. Une plaquette de luxe, Editions de La Critique contenant 1 phototypie, 2 lithographies hors texte et dessins inédits, rares Japon Impérial, 135 exemplaires sur papier luxe d'Annonay. Publiés en 1896]

Croquis d'Alsace, suite de 4 nouvelles (sous presse) [L'un des Croquis paraît à la suite de cet article de Victor de Champvans, il a pour sous-titre : On dit...]

Pour paraître incessamment :

Médicastres. Etudes sur les médecins modernes, illustrés par Falco et de Ber, sous couverture de Léon Lebègue.

En préparation :

Le Siège de Strasbourg (Mémoires inédits).

La Glissade, roman.

Manuel du parfait cycliste amateur.

Comme théâtre :

Une traduction de la Fin de Sodome, drame en cinq actes de Hermann Sudermann refusé au Théâtre Libre. [On peut lire dans le n° 7 du 5 juin 1895 de La Critique une Causerie faite à la Critique par Emile Straus sur La Fin de Sodome]

Une pantomime, le Coeur de Pierrot destiné au Théâtre des Modernes. [Alcanter de Brahm dans son article sur Straus dans le n° 22 du Nouvel Echo, revendique sa collaboration à cette pantomime, comme à Deux Amis (N° 1, 1er janvier 1892 du Nouvel Echo), et à M. Prude (N° 19, 1er octobre 1892 du Nouvel Echo)]

Le Boulevard des Bécanes, une fantaisie cycliste en ombres, avec l'exquis dessinateur Léon Lebègue.

Idylle, un acte antique, ombres de Lebègue.

Comme elles sont, un acte avec Arthur Bernède.

Erivin de Steinbach, cinq actes. [IV]


(2) Imprimés en toutes lettres dans la Plume de 1892.

[I] Je n'ai pu consulté cet article. La Revue Moderne (Marseille, 1884 - 1894), était dirigée par Robert Bernier, tenant de l'art social et par ailleurs collaborateur de la Revue Socialiste, il décède le 25 novembre 1893. Bernier avait abandonné la direction de la Revue Moderne en 1890, le titre était resté la propriété de Paul Cassard, en juillet 1891 Victor de Champvans, futur directeur de la Revue de L'Est, acheta la Revue Moderne et commença la publication d'une 3e série dès le 15 du même mois. Sur Robert Bernier et la Revue Moderne voir Hyppolite Buffenoir : A propos de Robert Bernier, la Revue de l'Est, N° 12, décembre 1894. La Revue Moderne, sera absorbée par la Revue de l'Est en octobre 1894, comme elle avait absorbé le Nouvel Echo de Straus après qu'il eut tenté la publication d'une nouvelle série mensuelle en mars 1894 arrêtée après un numéro 1 dont le gérant n'était plus Alcanter de Brahm mais J. Pradelle, ce numéro fut imprimé chez Lambert, Epinette et Cie, 231 rue Championnet (Epinette et le véritable nom de Trézenik).

[II] La Revue du XXe siècle (Mulhouse) : échos du pays d'Alsace-Lorraine et revue universelle : chronique politique, économique et sociale, industrie, commerce, agriculture, finances, littérature, sciences, beaux-arts : publication bi-mensuelle, directeur Louis Zorn. N° 1 (1892, 5 mai) -2e année, n° 46 (1894, 20 mars). Mulhouse : L. Zorn ; Bâle : Impr. Vve Chr. Krüsi ; Paris : Agence Havas, 1892-1894. 23 cm

[III] Si l'on en croit Alcanter de Brahm, Emile Straus et lui commencèrent une première série manuscrite du Nouvel Echo alors qu'ils avaient respectivement 17 et 14 ans, le premier numéro de ce pré-Nouvel Echo œuvre de collégiens, du lycée Chaptal semble-t'il, est daté de 1883.

[IV] On peut ajouter à cette liste arrêtée par Victor de Champvans au 25 juillet 1894, outre les plaquettes de Notes d'art déjà citées :

Une traduction, sous le pseudonyme de Papyrus, des vers de Henrich Heine pour l'album Les Rats de Jossot, Musique de Baudot, Editions de La Critique, 1899. 150 velin, 5 japon.

Une autre traduction, sous son nom, de Das lied van der Glocke, le Chant de la Cloche de Schiller aux Editions de La Critique, 1896, illustrations par Mouclier, 2 phototypies, 2 lithographies, une gravures sur bois, rares exemplaires sur Japon Impérial et 100 Hollande.

Dans les Albums de La Critique, en 1896, Glose pour deux albums de Marc Mouclier : Rêve, Vie, dix gravures sur bois, sous portefeuille, rares exemplaires sur Japon, rares exemplaires sur papier de luxe, et Rus, dix gravures sur bois, sous portefeuille, 5 exemplaires sur Japon, rares exemplaires sur papier de luxe.

Puis : le Théâtre Alsacien, l'Aurore du XXe siècle, frontispice de Henry Chapront (1901) ; la Nouvelle Alsace, illustré par Ch. Spindler, A. Koerttgé, etc (1902), Punch et Judy, drame guignolesque anglais, illustré par Henry Chapront, suivi des Paralipomènes de Punch (1903), Voyage aux ruines de Versailles (1905).


Émile Straus dans Livrenblog : Ubu Roi par Martine et Papyrus. Alfred Jarry et Le Théâtre des Pantins. L'Almanach du Père Ubu par Martine. Le Père Ubu dans La Critique. Les Jours et les Nuits d'Alfred Jarry par Émile Straus. Émile Straus, quelques documents. Émile Straus par Alcanter de Brahm.



mercredi 17 février 2010

Livres et Autographes




Un choix forcément fin de siècle dans la dernière liste, février 2010, de la Librairie William Théry :

BARRÈS (Maurice), Un rénovateur de l’occultisme - Stanislas de Guaita (1861-1898) – Souvenirs. Avec 2 portraits de Stanislas de Guaita. Paris, Chamuel, 1898. In-8° br. 32 pp. E.O. 60 €

BOIS (Jules), La Porte Héroïque du Ciel. Avec 2 dessins d’Antoine de La Rochefoucauld et un Prélude d’Erik Satie (1 p. en fac-similé). Paris, Librairie de l’Art Indépendant, 1894. In-8° étroit br. 86 pp. E.O. Couv. défr. ; dos pulvérisé. Rare 70 €

René GHIL [Tourcoing, 1862 – Niort, 1925], poète. Manuscrit aut. signé deux fois, Réponse à l’Enquête sur Mistral, 1 p. ½ in-4°, s.d. Selon Ghil, « Mistral serait un poète d’unique personnalité si la Bretagne n’avait Brizeux qui, lui aussi, en tendre et orgueilleuse communion donna à sa province, donna à son Peuple leur églogue et leur épopée : Marie, les Bretons. Mais le Maître de Maillane — une puissance d’emportement et de rythme, en plus, — a chanté dans le Verbe de sa race, sentant que l’âme d’un peuple ou de la tribu ne se peut exprimer complète qu’en la langue atavique, […] Et c’est ainsi que, malgré le persistant souvenir du poète Breton, son œuvre est cependant sans seconde : Mistral n’est pas Mistral, il est l’immortalisation en sa chanson de Geste de tous ceux de son sang mis sur le sol de leurs morts, en une poussière de soleil»… 120 €

Edmond de GONCOURT [1822-1896], romancier et diariste. Deux lettres à Madame Sichel. 1) LAS, 19 décembre 1877, 2/3 p. in-8°. Il est bien touché par son aimable invitation « et encore plus de la pitié que vous avez éprouvée pour le sort du pauvre vieil être isolé que je suis à l’heure présente. […] Vous êtes vraiment trop bonne, mais il y a un peu de mieux chez la mère, la fille perd un peu moins la boule et j’ai trouvé dans le voisinage un pâtissier qui porte en ville. »… Allusion à la santé de sa gouvernante Pélagie Denis, entrée à son service en 1868, qui souffrait de rhumatismes articulaires, et à sa fille Blanche, qui travaillait aussi parfois chez lui.] - 2) LAS, s.l.n.d. ; demi-page in-8°. Il lui envoie des billets de théâtre. « Vous y serez avec les Zeller. La baignoire est de 6 places mais au fond elle est de quatre, cependant je vous demanderai peut-être l’hospitalité pendant un acte. » Il joint un avant-scène de quatre places pour la générale. « Vous savez que la pièce est tout ce qu’il y a de plus convenable. »… ― Joint : Billet a. s. « J’irai dîner ce soir, chez vous. »… 140 €

LARMANDIE (Comte Léonce de), Un Essai de Résurrection. Paris, Bibliothèque Chacornac, 1907. In-12 br. 72 pp. E.O. Couv. défr. 30 €

Catulle MENDÈS [1841-1909], poète, romancier et auteur dramatique. LAS, Paris, 1er mai 1904, à Henri Heugel ; ½ p. in-8°, en-tête Association Professionnelle de la Critique Dramatique et Musicale. Au sujet d’un livret qu’il a écrit : « Vous devez savoir que j’ai fait entendre mon petit ouvrage à notre excellent ami. Il a paru extrêmement content. Le manuscrit est entre ses mains. & voilà une affaire close… » — Il s’agit probablement ici du livret d’Ariane, un opéra de Massenet qui sera créé en 1906. 35 €

JOSÉPHIN PÉLADAN

Carte a. s., s.l.n.d., à M. Gras ; 2 pp. pet. in-8°. Vœux à un bibliophile doublé peut-être d’un apothicaire car il lui réclame cette curieuse étrenne : « un dépilatoire radical. Ne pourriez-vous pas découvrir, en la science pharmaceutique, quelque chose qui tue le bulbe. L’épilatoire de Martin & Boëttzer rase ; et voilà tout : il faudrait 24 fois par an s’enduire de sulfure de calcium. Découvrez-moi donc quelque chose. »… Aveu d’hirsutisme ? 50 €

Cinq lettres à son ami lyonnais Paul Garnier. 1) Carte a. s., s.l.n.d. [janvier 1889] ; 2 pp. in-12, vignette. Il envoie ses vœux à Paul Garnier, à son épouse et leur petite fille et donne de ses nouvelles : « J’ai une vie très agitée ; mondain & travailleur à la fois ; & lors toujours à court de temps. Me dites quand vous pourrez si les culs lyonnais ont senti la pointe de ma botte. »… - 2) Carte a. s., s.l.n.d. [Nîmes, janvier 1891 ?] ; 2 pp. in-12 (env. cons.). Vœux et nouvelles : « Ou je vis dans la fièvre, ou dans le travail comme ici depuis cinq mois. J’ai quitté Paris le 8 août, de mauvaise humeur, Edinger [son éditeur, Gaston Edinger] ayant fait faillite […] maintenant, j’attends la fin de l’épidémie pour rentrer à Paris, en hâte. […] Moi je vais rentrer à Paris en auteur dramatique. » - 3) LAS, [cachet postal : Nîmes, 23 mars 1890]; 2 pp. in-8° sur papier grand deuil (env. cons). La première page est biffée. Péladan annonçait à son ami son arrivée jeudi à Lyon, mais il doit y renoncer et s’en explique à la page suivante : « Hélas, de pressantes affaires, le Salon, me forcent à brûler Lyon. » Il lui annonce d’ici une semaine l’envoi d’une oraison funèbre (celle de son père, le chevalier Adrien Péladan, décédé le 7 mars 1890). - 4) LAS, Nîmes, s.d.; 1 p. in-8° obl. “Du 7 au 10 mars, je passe à Lyon : le temps de vous serrer la main & d’entendre Lohengrin. Dès que vous saurez les jours où l’on le jouera du 7, 8, 9, je vous aviserai de mon arrivée & télégraphierai au Grand Théâtre retenir un fauteuil. »… - 5) LAS, s.l.n.d. ; 1 p. in-8° obl. « A peine je vais assez bien pour partir vendredi & je n’ai plus le temps de m’arrêter. J’en suis au regret. Je prendrai vendredi le rapide du soir forcé pour des intérêts sérieux de brûler Lyon. »… 230 €

[PÉLADAN] Alexandre BERLIÉ, Marguerite. Préface par J. Péladan. Portrait d’après nature par A. Masson. Paris, Librairie des Auteurs Modernes, 1885. In-12 br. VII-230 pp. + catalogue de l’éditeur. Couv. très défr. ; dos très abîmé, rousseurs. 15 €

[PÉLADAN] Edgar Allan POE, Poèmes complets. Traduction de Gabriel Mourey. Introduction de Joséphin Péladan (21 pp.). Paris, Camille Dalou, 1889. In-12 br. XLVII-186 pp. Couverture très défraîchie, manques importants au premier plat, dos consolidé avec un navrant amateurisme. En l’état : 15 €

44.- [PÉLADAN] Henry MÉRIOT, Les Flûtes de Jade. Avec une préface de Joséphin Péladan. Paris, A. Lemerre / Royan, Muses Santones, 1890. In-12 br. 141 pp. E.O. Envoi a. s. de l’auteur : « A vous, mon cher Monsieur Prétet, affinités, conceptions d’art, sens absolu de Celui qui vous occupe, synthèse en somme de ce qui crée la véritable famille intellectuelle ; je suis votre très ami inconnu. Henry Mériot. » 30 €

Raoul PONCHON [La Roche-sur-Yon, 1848 – Paris, 1937], gazetier littéraire [Acad. Goncourt, 1924]. Manuscrit autographe signé d’une de ses Gazettes rimées : A Edmond Rostand ; s.l.n.d. ; 5 pp. in-8°, 18 quatrains [+ 1 quatrain biffé]. Raoul Ponchon assure de son soutien et de son amitié Rostand en butte à la jalousie de ses confrères après son nouveau triomphe, L’Aiglon.

« Je n’eusse oncque[s] pu croire

Envers ta jeune gloire

Le monde rosse tant,

Mon cher Rostand.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des sires de la Presse,

Ainsi qu’une maîtresse,

T’encensaient, t’adulaient,

Congratulaient.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

D’un seul coup il enfonce

Et Musset et Alphonse,

Et près de lui Hugo

N’est qu’un mégot !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

On veut bien te permettre

Un chef-d’œuvre, cher maître.

Mais ce serait hideux

D’en faire deux… »

120 €

Louise READ [1849-1928], secrétaire et gouvernante de Barbey d’Aurevilly ; elle consacra sa vie à l’édition posthume des œuvres complètes du « connétable ». Carte postale a. s. représentant la chatte de Barbey d’Aurevilly peinte par Léon Ostrowski, Paris, [1er octobre 1912], à Lucien Descaves ; 1 p. in-12 ; adresse. Elle le prie d’assister, s’il est de retour, à la « Messe Rollinat Jeudi soir, 9 h. 3 oct. 1912… » 50 €

Laurent TAILHADE [Tarbes, 1854 – Combs-la-Ville, 1919], littérateur. LAS, Paris, 25 août [1888], à sa mère ; 2 pp. in-8°, à l’encre violette ; env. cons. Il est inquiet de ne recevoir aucune nouvelle de Lannemezan. « Mon père est-il malade ? ou toi-même ? Je ne sais que penser de ton silence. » Il est d’ailleurs si triste « que l’absence de ta lettre toute inquiétude mise à part me met dans un état navrant. Je n’ai pas vu Eugène [Eugène Jacomet] depuis quelques jours. » Il ne sort guère et travaille beaucoup. Il se porte bien « à part quelques retours de sciatique lorsque le temps va changer. »… 90 €

Jules VALLÈS [Le Puy-en-Velay, 1832 – Paris, 1885], journaliste, romancier et homme politique. L.A signée de ses initiales, s.l.n.d., à Georges Clemenceau [ ?] ; 1 p. in-12 (légt effrangée en partie basse). Il a les bras et les jambes coupées par « ces hésitations à propos de l’amnistie [l’amnistie des Communards, qui sera accordée en 1880]. » Il pensait être de retour à Paris dans deux jours : « Je ne travaillerai bien que là. » Il lui envoie « 3 malheureuses pages pour vous prouver que je ne suis pas mort ni disparu. Ce soir, j’en remettrai à la poste. Demain aussi. Jusqu’au jour de la discussion au Sénat. Je ne sais pas si je pourrai encore me loger ce jour-là ! » — Vallès rentrera en France le 14 juillet 1880. Après s’être réfugié en Belgique et avoir séjourné quelque temps en Suisse, il était resté à Londres de 1873 à 1880. — Clemenceau et Vallès se connaissaient de longue date : ils avaient effectué, avec d’ailleurs Jules Verne et Georges Boulanger, leurs études secondaires au lycée de Nantes. 100 €

VERHAEREN (Emile), Les Heures d’Après-Midi. Ornements ou vignettes en couleurs de Théo van Rysselberghe à chaque page. Bruxelles, Edmond Deman, 1905. Demi-maroquin vert olive à coins, dos à 4 nerfs, tête dorée, non rogné, 67 pp. ; couv. cons. E.O. Dos passé. 100 €


Demander à recevoir la liste complète : Librairie William Théry, 1 bis, place du Donjon 28800 - Alluyes Tél. 02 37 47 35 63 E.mail : williamthery@wanadoo.fr

lundi 15 février 2010

Alphonse SÉCHÉ : CLAUDINE-POLAIRE, WILLY, COLETTE, GOLBERG




Dans le chapitre qui suit du volume d'Alphonse Séché, Dans La Mêlée Littéraire (1900-1930) Souvenirs et Correspondance. (S.F.E.L.T., Bibliothèque du Hérisson, Galerie d'histoire littéraire, 1935, in-12, index des noms cités), on trouvera un témoignage direct sur Willy, mais aussi Mécislas Golberg en imprimeur, une pythonisse, des plaquettes rares, une Colette nue, Polaire et Jean Lorrain à Marseille...


Claudine-Polaire

Je n'ai pas l'intention d'entrer dans tous les détails de ma collaboration avec Jules Bertaut [I]. J'aurais d'ailleurs à y revenir. Mais il convient que je parle maintenant de nos rapports avec Willy. Plus tard, l'occasion me manquerait peut-être de dire dans quelles circonstances nous entrâmes en relations avec l'auteur – l'un des auteurs, du moins, - de Claudine à l'École ?...

La Critique Indépendante vivait encore, lorsque Jules Bertaut et moi nous eûmes une idée...

Si jamais un chroniqueur, curieux de la vie parisienne, littéraire et théâtrale d'avant-guerre, découvre dans une boîte des quais une brochure de huit pages, du format de la Revue des Deux Mondes (c'est le seul point possible de comparaison, entre les deux publications), imprimée sur papier couché et signée Brown-Fairness, il saura – à moins d'avoir omis de me lire – que ce nom composé dissimulait Jules Bertaut et moi-même. Un titre général : Nos artistes chez elles ; un titre particulier : Claudine-Polaire. Le cliché de la couverture représente Mlle Polaire en jupon de dessous, corset de satin, chemise à empiècement de dentelle. A l'intérieur, dans le même costume, Mlle Polaire est dans son cabinet de toilette. Plus loin, nous la voyons en Claudine : jupe écossaise, sarraut noir, col blanc. A la page dernière, elle « fait dame », sagement assise sur une chaise-longue Louis XV, dans son salon. L'image la plus curieuse se trouve à la page 6. C'est le portrait des « Parents de Claudine » : le père, ganté, en redingote, arbore le haut de forme mat, à bords plats, qui fut célèbre dans Paris durant quelques années ; la mère... on lui donnerait vingt ans. Elle semble être la fille du monsieur qui se tient droit à son côté. Jupe noire, ceinture blanche à large boucle, corsage à fleurs, col d'homme empesé, grand nœud marin à pois et, sur la tête, un aimable canotier de paille, dont l'ensemble évoque assez bien une assiette creuse avec un camembert dans le milieu : Mme Colette est charmante !

Sous l'image, cette légende : Willy et sa collaboratrice.

De la collaboratrice, nous disions : « Tout Paris l'a lorgnée à toutes les premières. Elle, pas fière de cette curiosité sympathique, s'effacerait volontiers, contente seulement de voir son grand homme accepter le premier rang. »

Et pour terminer : « Ainsi va l'heureux couple vers la Gloire, tenant par la main la petite écolière de Montigny, heureuse, elle aussi, comme une petite folle, de cueillir la célébrité. »

Pauvre Willy !...

Voilà notre idée ! Comment elle nous vint ? En cherchant un moyen pour gagner des « sous », comme dirait Francis Carco.

Pratiquement, d'ailleurs, notre idée n'était point si mauvaise ! Nous spéculions sur la curiosité du public, sur son désir un peu malsain de pénétrer dans la vie intime des « actrices », et sur la vanité de celles-ci, toujours assoiffées de réclame. Trois sortes de recettes possibles : la vente de la brochure, la publicité des fournisseurs des artistes, les « subventions » des principales intéressées.

D'autres que nous auraient fait de cette publication parisienne une excellente affaire. Ni Bertaut ni moi ne possédions les qualités requises, pour mener la chose jusqu'au bout. Avec Willy, tout avait été facile : les premières difficultés nous découragèrent. J'ai souvenir de notre visite à Germaine Gallois. Elle nous reçut dans sa salle à manger, la petite salle à manger d'un petit appartement de petit employé : le buffet, de chêne sculpté, s'ornait, aux portes, de faisans et de pintades. Contrairement à ce que nous espérions, le succès de notre numéro sur Polaire ne décida pas Germaine Gallois à « commanditer » Nos artistes chez elles.

Nous nous rabattîmes sur Willy, auquel je proposai la publication d'un almanach... Mais, avant d'aborder l'historique de cette nouvelle entreprise, j'ai encore à parler des imprimeurs de notre brochure : Claudine-Polaire.

Ladite brochure ne porte aucun nom d'éditeur : aucune adresse non plus. Et il est impossible de savoir où elle fut imprimée.

L'imprimerie était située dans une petite rue, du côté de l'Avenue des Gobelins, vers la place d'Italie. Ses directeurs – car il y en avait deux ! - s'appelaient l'un Léon Parsons , l'autre Mécislas Golberg [II].

Je les avais connus au Quartier Latin. Le second, je crois, me mit en rapport avec le premier. Mécislas Golberg traînait déjà sa vie misérable de révolté et de tuberculeux. On ne savait ce qui l'épuisait – ou l'enfiévrait le plus : la maladie ou la fermentation de ses idées. Un soir, à la terrasse du Café Mahieu, boulevard Saint-Michel, il m'apprit qu'il venait de s'installer imprimeur, avec Parsons, qui publiait un journal... laïque, dont il voulait faire, dans toutes les provinces, le concurrent de La Croix.

Je confiai bientôt à Golberg l'impression du premier (et unique !) numéro de Nos Artistes chez elles. Ses prix étaient avantageux et j'avais sa promesse d'un travail rapide. Et les jours commencèrent de succéder aux jours...

Mécislas Golberg occupait un petit appartement rue Claude Bernard. Bertaut et moi, après avoir, vainement, essayé de le joindre à l'imprimerie, où Léon Parsons, dont le bout du nez s'ornait d'une verrue brune, grosse comme un pois chiche, nous recevait de cet air nonchalant qui faisait son charme, nous le relançâmes chez lui. Une première fois, il était souffrant et ne voulut pas nous recevoir. La seconde fois, nous forçâmes la porte... Dans le coin d'une pièce, meublée de deux chaises et du buste en plâtre de Beethoven, par Bourdelle, sur la cheminée, Golberg, couché sur un divan, semblait agoniser. Dans son visage comblé d'ombre, on ne voyait que ses yeux et, sur le drap, ses mains de squelettes. Il eut cependant la force de se dresser sur son séant et de nous accuser de vouloir sa mort. Nous étions si péniblement impressionnés que la colère qui nous animait en entrant désarma aussitôt. Comment s'en prendre à un cadavre ? Toute notre fureur s'amassa sur la tête de Léon Parsons.

L'imprimerie nous vit arriver en tempête. Devant les typos goguenards, Parsons m'entendit proférer un certain nombre de menaces, cependant que Bertaut, déchainé, distribuait à la volée des coups de canne sur les casses et jusque sur les abats-jour en tôle des lampes électriques !...

Enfin, notre brochure parut... et je ne revis plus Mécislas Golberg.

L'Almanach Willy

Colette et son collaborateur

Je ne connaissais pas Willy, lorsque j'allai lui proposer notre idée de brochure sur Polaire. Il m'accueillit très sympathiquement et, en moins d'un quart d'heure, nous étions d'accord. Nous le restâmes toujours.

Dans Nos Artistes chez elles, nous le présentions ainsi :

« De taille moyenne et légèrement bedonnant. L'air d'un auvergnat qui, après fortune faite à vendre des marrons, aurait été colonel de la Garde... sous l'Empire. Fortes moustaches, barbe grisonnantes ; deux bons gros yeux très doux de ruminants ; le sourire gouailleur et accueillant. Le front découvert est si large qu'il en paraît bas – le crâne est court, vêtu... »

Après les scandales de son divorce, le succès et la mode l'abandonnant, on lui montra une bien grande sévérité. N'a-t-on pas dépassé la mesure ? Il y avait chez Willy beaucoup de finesse, beaucoup d'esprit et beaucoup de culture. Sous sa gouaille se dissimulait une réelle sensibilité. Je l'ai vu pleurer, après le départ de Mme Colette. Cet amoral avait l'âme d'une grisette et tous ceux qui l'approchèrent savent qu'il fut un excellent camarade. La chose est assez rare dans la vie parisienne et dans les lettres, pour qu'on l'inscrive à son actif.

Lorsque je lui eut fait accepter l'idée de publier un Almanach Willy [III], nos rapports devinrent fréquents. Il habitait alors 177 bis rue de Courcelles.

Un matin, vers neuf heures et demie, je lui présentai une jeune chiromancienne. Par qui étais-je entré en relations avec cette pythonisse ? Je l'ai oublié. On commençait seulement à prononcer son nom, aussi cherchait-elle à approcher des personnalités en vue susceptibles de donner du lustre à sa clientèle. Je lui promis de l'introduire chez Willy. A la lettre par laquelle je l'informai que j'irais la chercher chez elle pour la mener rue de Courcelles, elle m'écrivit :

Monsieur,

Vous êtes mille fois aimable de vous déranger de la sorte pour moi et de mettre tant de bonne grâce à me faire plaisir.

Je serai rue de Berne (son cabinet de consultation) mardi matin à 9 heures et quart, très exactement, malgré ma coutumière paresse.

Encore merci, Monsieur, de l'intérêt que vous me témoignez et croyez à la reconnaissante sympathie de

Fraya.

La présentation faite, Colette emmena Fraya dans sa chambre. Je restai avec Willy dans le cabinet de travail... Soudain, la porte s'ouvre, Colette apparaît bouleversée et enthousiaste :

- C'est extraordinaire, savez-vous ce qu'elle m'annonce ?

- Non

- Votre mère est en train de donner sa fortune aux curés.

- Je le savais, dit Willy, placide.

L'Almanach Willy parut en 1903 et 1904. La première couverture, de Barrère, représentait Claudine-Polaire au bras de Willy qui, un parapluie d'une main, s'assurait de l'autre qu'il ne pleuvait pas. Sur la seconde couverture, le portrait charge de Willy s'étalait, un lis brisé et une petite fleur bleue à la boutonnière.

Le texte et les dessins étaient en partie extraits d'œuvres légères de Willy. Des portraits et des caricatures du « père » des Claudine achevaient de donner aux brochures un caractère biographique. L'une des caricatures, par Sem, montrait Colette entre son collaborateur et Polaire.

On utilisa les clichés et le texte de notre numéro des Artistes chez elles. Comme nous manquions de matière, Jules Bertaut et moi, nous fîmes du Willy, sans y réussir toujours parfaitement, comme en témoigne le mot ci-dessous qui accompagnait un retour d'épreuves :

Mon cher ami, voici le commencement qui va le mieux du monde. A votre place, je ne publierais pas « le Calendrier de Claudine » sous ce titre. Ce n'est pas le style de Claudine, c'est mieux, c'est différent. Et j'userais trop de temps à claudiner votre texte. Libellez une petite note disant que cette prose est de la grande Anaïs qui, patiente, réussissait de laborieux démarquages, etc... Ou trouvez un autre truc, ou changez les noms. Mais pas de Claudine comme signature. « Le Calendrier d'une amie de Claudine » suffirait très bien... Jusqu'à quand pouvez-vous attendre trois pages de moi ?

Willy.

Il m'écrit de Marseille :

Vieux frère, voici de la bonne copie inédite extraite d'un roman à paraître prochainement sous le titre Je m'évade (1).

Quand rentrerais-je à Paris ? Je ne sais trop. Polaire s'est à demi intoxiquée avec des clovisses et autres indigestes moules ; j'avais un trac affreux qu'elle ne pût pas jouer (2).

Heureusement, ça commence à ce calmer, mais quel fait-divers !

Marseille rit au soleil, grouille, crie et pue.

Tout vôtre.

Willy

Une autre fois, c'était au cours de la « confection » de l'Almanach Willy pour 1904, il m'envoie ce billet :

Dites-moi, homme de bien, dans toutes ces proses – d'ailleurs charmantes – je crois me rappeler qu'il n'est pas question de Claudine en ménage. Or, je voudrais bien que ce bouquin (peut-être amoral, mais dont la vente, à coup sûr, m'intéresse) fût mentionné. Il suffirait de remplacer dans quelques phrases : Willy par la prériphrase : l'auteur de Claudine en ménage.

Qu'en pensez-vous ?

Yours,

Willy.

L'Almanach de 1904 présente une particularité : sur le recto de la couverture, ont lit cette annonce :

WILLY

Claudine en ménage.

Et, sur le recto de la page de titre :

Les OEUVRES DE WILLY

Pour paraître incessamment :

MINNE.

L'Almanach fut mis en vente en novembre 1903. Si le ménage Willy- Colette ne s'était pas disloqué, l'auteur de La Vagabonde aurait été associée à la création de Minne, puisque rien ne signalait qu'elle n'y avait pris aucune part [Note de Livrenblog : rien ne signalait le contraire, d'autant que Colette, reprenant son bien, utilisera Minne, et les Egarements de Minne pour en faire L'Ingénue libertine].

Je m'entendais parfaitement avec Willy. A travailler ensemble, nous étions devenus des amis. Pour m'être agréable, il me citait fréquemment dans ses articles de L'Ouvreuse, à L'Echo de Paris. J'étais à sa disposition pour de menus services.

Je vous gobe, m'écrit-il un jour, des environs de Besançon, parce qu'avec vous «ça» ne traîne pas. Ca = les réponses qu'on vous demande.

Et, au bas de la page :

Dites donc, homme actif, je n'ai que des moules parmi mes amis restés à Paris, - vous chargeriez-vous de ma faire tirer quelques cartes postales ?

En son absence de Paris, il m'arriva, à sa prière, de le suppléer pour griffonner des dédicaces.

Sur une carte-postale illustrée de son portrait, je relève ces lignes :

Je vous envoie, pour M. Antoine, un « Willy ». Si vous avez un almanach sous la main, signez-le de mon nom et envoyez-le à l'Antoine sus-nommé, qui n'y verra que du feu.

Voici M. Antoine prévenu... un peu tard, mais enfin ! [IV]

Un, Willy m'avait donné rendez-vous, à l'Impérial Hotel, rue Margueritte, où, avec Colette, il occupait deux pièces.

Je vois encore la disposition des lieux. Dans la première pièce, prés de la fenêtre, et à droite, la table de travail. Derrière cette table, une porte à double battant ouverte sur la chambre.

Willy me reçut en pyjama. J'apportais divers papiers : des épreuves, de la copie, des factures d'imprimerie que nous examinions ensemble. Assis à sa table, Willy tournait le dos à la chambre. J'étais debout près de lui. A un moment donné, je me retourne et, dans la glace de l'armoire, au fond de la chambre, j'aperçois Colette toute nue. Je ris, Willy, regarde, rit aussi et dit : « Vous savez que Séché vous voit dans la glace ? »

- J'espère qu'il ne s'en plaint pas, répond Colette sans s'émouvoir.

Le Willy auquel il est fait allusion et que je fis tenir à André Antoine, est une assez volumineuse plaquette biographique, signée d'Eugène de Solenière [V], qui fut mon collaborateur régulier, pour la critique musicale, à La Critique Indépendante.

Cette plaquette est-elle rare ? Nul doute qu'elle ne le devienne et ne vaille fort cher un jour. Il s'y trouve une prose parisienne, d'ailleurs charmante, mais inattendue, de Georges Lecomte, dessinant un vivant et pittoresque portrait de Willy. Il s'y trouve surtout une petite fantaisie de quatre pages, Claudine à Marseille, dont de Solenière dit dans une note qu'elle « a été écrite en collaboration avec Colette ». Il suffit d'y jeter les yeux pour s'assurer que Colette n'eut aucun collaborateur ; son style signe pour elle. Ces quatre pages de Colette, quatre pages inconnues, voilà l'intérêt et le prix de l'opuscule. Colette exprime l'admiration des Marseillais pour Polaire. :

... Ah ! Cette minionne, on la voudrait toute ! - Bouton de rose, va ! - M... (parfaitement, il crie le mot de Cambronne), M... qu'elle est fine, la perle ! - Pendant l'entr'acte, deux nervi aux cheveux luisants échangent des impressions d'art : Quand je la vis anntrer, cette Pôlaire, je me dis : C'est une cocotte, allons ! Mais quand je l'entendis je me pensai : « C'est une vierge ! » - Ces gens adorables ne professent pas pour leurs représentants une admiration sans bornes ; au sortir du théâtre, Payoud, conseiller municipal à figure de polichinelle anodin, ayant déclaré, ce qui est bien son droit : « Cette Clodine ne me plaît guère », une voix sévère, une voix d'électeur, proféra ce jugement esthétique : « Brigue (lèvre) de c., ce Payaoud, il n'a pas d'estruction, et il cose de tout ! » Marseillais, je vous aime !

Et ceci sur Jean Lorrain et Polaire :

Ils font sensation ! On le regarde autant qu'elle. Marius, Vérin, Baptistin, le frôlent d'un coude aguicheur ; des voix cajoleuses et rudes lancent son prénom : « Jein ! » Il passe, reconnu et adulé, très à l'aise, curieux de tout ce qui vit, luit et grouille, rêveur devant la mer que dramatise un crépuscule orange, comme devant les yeux verts d'un déchargeurs de la Joliette, amusé de l'inutile corne pointue qui se dresse sur le collier des chevaux de traits : « Pourquoi cette corne ? » On lui répond : « C'est pour l'orgueil ! » Je ne souris pas, ni lui, car la beauté de cette bouffissure à l'espagnole ne nous étonne point, dans cette patrie du superlatif.

  1. Claudine s'en va.

  2. Polaire donnait, à Marseille, une série de représentation de Claudine à Paris.


[I] Alphonse Séché (1876-1964) et Jules Bertaud (1877-1959) collaborèrent à de nombreux volumes, dont la série La Vie anecdotique et pittoresque des grands écrivains, chez Michaud.

[II] Voir dans Livrenblog : Mécislas Golberg contre Remy de Gourmont : Orthodoxie Symboliste. Arnold Boecklin par Mécislas Golberg.

[III] Almanach Willy. Paris, P. Varelli. 1903 et 1904. P. Varelli est le pseudonyme d'Alphonse Séché, sous lequel il publia des dessins et caricatures dans la presse.

[IV] Nous ne savons si Antoine, directeur du Théâtre-libre, n'y vit que du feu, mais il fallait que Séché fut un bon "faussaire" pour imiter la minuscule écriture de Willy.

[V] Eugène de Solenière : Willy. Sevin et Rey, 1903. Voir dans Livrenblog : Willy, préface pour Solenière par Claudine.

Sur Alphonse Séché voir la présentation de Contes des yeux fermés par Eric Dussert dans le Matricule des Anges.